Savez-vous que l'huître est l'un des très rares produits de la cuisine occidentale que l'on mange... vivant? Woody Allen affirmait d'ailleurs haut et fort qu'il ne pouvait en manger car il aimait sa nourriture morte!

Curieuse bête, à la fois caillou marin et invertébré, l'huître plaît surtout lorsqu'elle est fraîche et crue. C'est d'ailleurs, avec l'oursin, la seule bestiole entièrement vive que l'on ingurgite en Occident.

 

Les Romains en raffolaient et cela ne surprendra personne que les empereurs et les patriciens aient associé sa consommation à d'autres plaisirs, disons plus concupiscents! Cette réputation sulfureuse n'est pas impromptue. Peut-être la salinité, la délicatesse de sa chair et sa couleur laiteuse en sont-elles responsables? Peut-être aussi le fait qu'elle soit ni mâle ni femelle, mais les deux à la fois, version marine de l'être bisexué original?

Quoi qu'il en soit, l'huître est à son mieux pendant les mois d'automne. Cela tombe plutôt bien, juste avant les Fêtes, alors qu'il est de coutume de la servir résolument fraîche, à même la coquille, baignant encore dans une eau iodée. Car c'est justement un peu de cette mer nutritive que l'on avale. Cela explique aussi pourquoi on préfère ne pas en consommer pendant l'été, qui est la saison fertile; plusieurs huîtres contiennent alors les oeufs qui permettront à l'espèce de se reproduire. On dit souvent que dès que les pêcheurs ont le dos tourné, l'huître s'en donne à coeur joie dans la reproduction. La coutume a imposé un interdit de consommation des mollusques pendant les mois qui ne contenait pas de «r» afin de préserver les stocks! Ajoutez à cela les températures estivales chaudes, les difficultés de transport, et vous avez les ingrédients d'un tabou. Mais en réalité, cela n'a plus de raison d'être aujourd'hui, et on peut en consommer à longueur d'année, même si les huîtres ont tendance à être mois charnues en été. Ça se comprend, elles viennent d'enfanter! À ce sujet, l'huître n'a peut-être pas la réputation d'être aphrodisiaque pour rien: elle peut «pondre» 300 000 «bébés» à la fois et jusqu'à 100 millions d'oeufs par année! Après cet effort, elle peut soit se reposer... soit changer de sexe!

De notre côté de la chaîne alimentaire, l'huître se montre d'une grande variété, particulièrement en France, où l'on en fait l'élevage depuis des siècles, les huîtres sawuvages ayant pratiquement disparu. Mais au Canada, l'huître est une industrie importante dans les Maritimes, particulièrement dans l'Île-du-Prince-Édouard, où son élevage est presque aussi important que celui du homard. D'une seule et unique variété dans les Maritimes et le Nord-Est américain (il y a cinq espèces d'huîtres en Amérique du Nord, chacune multipliée par les appellations de lieux) la Crassostrea virginica, dite aussi de Virginie, présente des aspects différents, des textures et des nuances de goûts selon les eaux où elle grandi. Car une huître ne se régale pas des fonds marins, contrairement à la croyance populaire, mais elle filtre le plancton et les algues de l'eau et s'en nourrit. Si vous trouvez chez le poissonnier des Raspberry Points, des Rocky Bay ou des Malpeques (deux des 10 appellations d'huîtres de l'île), dites-vous bien qu'elles indiquent d'abord un estuaire où les eaux chaudes du Golfe se mêlent à celles plus fraîches et douces des rivières. Une fois cueillies avec de grosses pinces mécaniques, elles sont transportées dans des entrepôts frigorifiés, emballées, et exportées partout en Amérique du Nord en moins de deux jours. Considérant que l'huître peut vivre de sept à 10 jours, dans la partie la plus froide du frigo, vous tenez un produit d'une remarquable fraîcheur, riche en oméga-3, en vitamines, saturé de minéraux et de protéines aisément digestes.

Pour le service, n'y allons pas par quatre chemins: les puristes rejettent l'idée de la cuisson, à bannir totalement. Aussi, celui du filet de jus de citron, ou pire, du vinaigre à l'échalote ou du Tabasco qui masquent le goût délicat de noisette rôtie de l'huître - sans parler du vin. Une seule goutte de jus de citron ou quelques rognures de zeste sur une huître devraient suffire pour en exalter le parfum. Vous reconnaîtrez un peu l'amande, des notes minérales sans doute; les experts parlent parfois de réglisse, de notes anisée; ils reconnaissent le pamplemousse et même le cantaloup, imaginez! En tout cas, une sorte de velouté exquis. De même, il ne faut pas l'avaler sans cérémonie: il faut plutôt la mâcher, afin de goûter les arômes, qui seront différents selon les estuaires où les huîtres auront grandi. Certains amateurs ne jurent que par un petit hachis de gingembre frais, en infime quantité, déposé dans la coquille; puis d'un coup, on arrose le tout d'un trait de champagne avant d'avaler. Pour les usages plus courants et surtout, plus raisonnables, disons que l'huître se contente de peu: elle aime le voisinage de la ciboulette, du paprika, de la pomme et du céleri et, pourquoi pas, du concombre. Mais surtout pas en même temps. Or, ce qu'elle n'aime pas, c'est être trop habillée: l'huître aime se montrer toute nue!

NOTE

On peut conserver les huîtres une dizaine de jours à compter de leur sortie d'eau, dans un frigo ou même dehors s'il ne gèle pas. Mais ne les ouvrez qu'au moment de les servir. Et si vous n'êtes pas habitué à ouvrir des huîtres avec un couteau, faites appel à un expert, ou un «shucker», quelqu'un qui ouvre de 24 à 40 huîtres en trois minutes! Pour une démonstration, allez sur YouTube et voyez How to Shuck An Oyster.

OÙ MANGER DES HUÎTRES?

- Oyster Shack, 1242, rue Bishop

- Au restaurant Maestro SVP, 3615, boulevard Saint-Laurent

- Joe Beef, 2491, rue Notre-Dame Ouest

- Au Pied de cochon, 536, rue Duluth Est

- Méchant boeuf, 124, rue Saint-Paul Ouest

- Le Pois Penché, 1230, boulevard de Maisonneuve Ouest

OÙ LES ACHETER?

- Noreff, 4900, rue Molson (Rosemont)

- Poissonnerie La mer, 1065, rue Papineau (à côté de Radio-Canada)

- Nouveau Falero, 5762, avenue du Parc

J'AI LU

Jamie Oliver, Tout le monde peut cuisiner

Hachette

Revoici Jamie, avec son petit accent britannique et son zézaiement sexy. Dans ce livre tout à fait exquis baptisé Ministry of Food, en version originale, l'auteur rend hommage aux années de guerre durant lesquelles les Britanniques ont réappris à cuisiner en mode pénurie. Traduit par Tout le monde peut cuisiner (on se demande qui décide des titres dans l'édition!), ce livre de la star de la télé pousse l'engagement un peu plus en insistant sur l'importance de faire circuler les recettes entre amis ou en famille une fois qu'on les a maîtrisées et, ainsi, de faire changer les habitudes alimentaires. Des recettes, il y en a d'excellentes, comme d'habitude chez Jamie, mais il y a aussi les commentaires presque ethnographiques, l'iconographie rétro et les photos splendides. En un mot, un livre vraiment bien.