Manuel Kak'wa Kurtness est un chef autochtone. Pas celui qui dirige une bande, celui qui dirige une cuisine. Et c'est par la cuisine qu'il veut faire une différence chez lui. En ramenant sur les tables autochtones les plats traditionnels. Car ils sont non seulement porteurs d'histoire, ils sont sains.

«Les gens n'ont pas nécessairement quitté la bouffe traditionnelle, explique Manuel Kak'wa Kurtness. Ceux qui sont proches de la nature chassent encore l'orignal et pêchent le poisson. Ils sont restés attachés à leurs racines. En même temps, ça ne les a pas empêché d'ajouter des aliments sucrés et salés dans leur alimentation.»

 

Les statistiques sur la santé des autochtones sont accablantes: un taux d'obésité nettement au-dessus de la moyenne canadienne qui est déjà très élevée. Les jeunes femmes autochtones sont particulièrement enclines à l'embonpoint. Elles consomment plus d'aliments gras et ont une alimentation pauvre en fibres et certains minéraux et vitamines.

Pourtant, explique le chef, l'alimentation traditionnelle des Premières Nations est très riche. Elle suit les saisons, alors elle ne peut être que diversifiée, dit-il. «Et le bio, chez nous, ça existe depuis des lustres! lance-t-il. Manger du gibier a toujours fait partie de notre alimentation.»

Le chef s'est donné une véritable mission: transmettre le savoir de ses ancêtres. Son premier livre, Pachamama, qui sera en librairie mardi, présente 12 communautés du Québec et de l'est de l'Ontario. Kurtness raconte leurs traditions culinaires et a concocté des recettes pour chaque communauté, d'après leur histoire, mais adaptées au monde moderne.

«Notre mode de vie actuel nous éloigne de ce que la nature nous a enseigné et, peu à peu, le savoir de nos ancêtres se perd», dit celui qui est aussi chasseur et professeur.

Manuel Kak'wa Kurtness enseigne à l'école secondaire de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean, où il vit. Au début du mois, il a invité 12 élèves à l'accompagner à la chasse. Les jeunes ont passé une semaine dans le bois, souvent sous la pluie. La plupart n'avaient jamais tué d'orignal. La chasse a été bonne. Les jeunes ont appris à débiter, selon les traditions.

«À la base, il ne faut pas leur montrer à cuisiner, dit Manuel. Il faut leur montrer l'animal. C'est la nature qui s'offre à eux.»

Plus qu'une leçon de boucherie, les jeunes ont appris à chasser comme leurs ancêtres. Ils savent maintenant que l'orignal aura un goût plus prononcé s'il est abattu autour de la deuxième lune d'automne, parce que c'est la période de rut, et que le castor aura un goût différent s'il vient d'une forêt de bouleaux ou d'une forêt de trembles. Manuel leur a parlé de la nature comme leurs parents ont rarement le temps de le faire.

«Le mode de vie traditionnel et les valeurs autochtones, ce n'est pas un retour en arrière, à vivre uniquement de chasse et de pêche, écrit-il, dans son livre. L'idée n'est pas de se déplacer en canot ou à raquettes, de cuire les aliments directement sur le feu et de se vêtir de peaux d'animaux.

«Reprendre contact avec nos racines, c'est beaucoup plus prendre conscience que nous ne sommes pas au-dessus de la nature, mais que nous faisons partie du cercle de la vie, au même titre que les autres créatures, explique aussi Manuel Kak'wa Kurtness. C'est réaliser que le territoire ne nous appartient pas, mais que c'est nous qui lui appartenons. C'est refaire connaissance avec notre environnement, un garde-manger à la richesse insoupçonnée qui se trouve juste à côté de nous.»

Il n'est pas le seul à croire que la réappropriation de la nourriture traditionnelle par les Premières Nations ne peut qu'être bénéfique.

Le Centre pour la nutrition et l'environnement des populations indigènes de l'Université McGill, en collaboration avec l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, vient de publier les premiers résultats d'une importante étude menée sur cinq continents. Le groupe lie clairement le retrait de la nourriture traditionnelle du quotidien des peuples autochtones à l'obésité. Partout sur la planète. Les chercheurs ont toutefois observé un groupe d'Inuits de l'île de Baffin qui, justement, retournait vers une alimentation traditionnelle, pour des raisons de santé publique évidentes. Plus de 40% de leurs calories quotidiennes proviennent maintenant de la nourriture traditionnelle, alors que cette proportion avait glissé à 31%, il y a 10 ans.

Pour encourager le mouvement, Santé Canada a publié pour la première fois une version «Premières Nations, Inuits et Métis» du Guide alimentaire canadien, en 2007. Il y est notamment question d'huile de phoque, de pain banique, de plantes et de viandes sauvages, afin que chacun puisse adapter les recommandations officielles à son assiette.

 

Autochtones au Canada

L'obésité est un important problème de santé chez les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Les données autodéclarées de 2007 montrent que les taux d'obésité sont plus élevés chez les autochtones adultes vivant à l'extérieur des réserves que chez les non-autochtones (24,8% par rapport à 16,6%). En effet, selon les données autodéclarées de l'Enquête régionale longitudinale sur la santé des Premières Nations de 2002-2003, le nombre de cas d'obésité est effectivement particulièrement élevé chez les gens des Premières Nations vivant dans des réserves: 31,8% des hommes adultes, 41,1% des femmes adultes, 14,0% des jeunes et 36,2% des enfants étaient considérés obèses.

Source: Agence de la santé publique du Canada