Lorsque Gustav Otterberg part au boulot chaque matin, avec ses cheveux en queue de cheval et ses tatouages, sur son vélo ou en autobus, il fait un petit arrêt en chemin. Il bifurque par la forêt qui borde Stockholm pour aller chercher des asperges sauvages, des champignons, de la myrrhe odorante ou des airelles pour les cuisiner plus tard dans la journée. «C'est moi qui fournis le restaurant, explique-t-il. J'y passe entre une heure et une heure et demie par jour.»

Gustav Otterberg est chef chez Leijontornet, un élégant étoilé Michelin caché dans une petite rue périphérique du quartier historique de Gamla Stan. Dans ce restaurant chaleureux conçu autour d'un morceau des anciens remparts, il fait ce qu'on appelle maintenant de la «nouvelle cuisine nordique». Patiemment, quotidiennement, il ne travaille qu'avec des produits provenant de sa région. Beaucoup d'ingrédients cultivés ou élevés en Suède depuis toujours, mais aussi beaucoup de produits sauvages, cueillis de façon écologiquement responsable, dans la nature.

 

Tels que le veulent les principes de cette «nouvelle cuisine nordique» mis en place en 2005 avec d'autres chefs comme lui, décidés à mettre, avec succès, les pays du nord sur la carte gastronomique, il reste régional à tout prix. Et refuse donc des ingrédients comme la banane, le chocolat, la mangue ou l'avocat.

«C'est difficile de ne pas utiliser de produits venant d'ailleurs. Le citron, c'est tellement formidable. Mais on est rendu à un point où il y a plus de gens ici qui cuisinent italien que suédois, déplore Otterberg. J'essaie de construire quelque chose qui sera nôtre.»

Le régime crétois, très peu pour toute une génération de jeunes chefs du Danemark, de Suède, mais aussi de Norvège, de Finlande ou d'Islande qui, comme Gustav, en ont marre de la cuisine méditerranéo-centrique, avec ses olives, tomates, ail et herbes de type provençal. «Je suis même prêt à me débarrasser de l'attitude «il faut absolument boire du vin avec un grand repas»», ajoute Otterberg, qui adore proposer des accompagnements de bières comme option pour ses repas gastronomiques.

Et pour les plats, il les remplit d'abats, de boudin, de crème et de toutes sortes de morceaux de porcs, de cervidés ou de poissons régionaux qu'il prépare avec des champignons sauvages, des herbes comme l'aspérule ou l'oseille dont de multiples variétés poussent dans la campagne scandinave. Les fruits de mer ont aussi la cote, dont le homard et les langoustines. L'hiver, il sort ses légumes en conserve, préparés maison pendant l'été avec des produits frais.

«Nous avons des saveurs traditionnelles très intéressantes. Le sucré-acidulé, le fumé, le salé, l'épicé. Ce sont nos saveurs. Ce n'est pas correct de cuisiner à la méditerranéenne ici», ajoute pour sa part Henrik Norstrom, chef chez Lux, un autre étoilé Michelin de Stockholm qui met de l'avant une cuisine nordique réinventée.

Lorsqu'il nomme ces saveurs, on pense évidemment au sucré-acidulé du hareng mariné, au fumé du saumon fumé ou alors au mélange sucré-salé-épicé du gravlax et même à l'acidulé presque astringent de certaines gelées de baies qui accompagnent souvent les viandes.

«Le plus loin que je suis prêt à aller, c'est en Écosse, pour son homard», admet le chef, qui a fait ses classes chez Charlie Trotter à Chicago et Joël Robuchon à Paris. «Ici, oui, nous avons de formidables pommes de terre, et du chou, des oignons et des carottes. Mais nous avons aussi des fraises, des champignons sauvages, du saumon et toutes sortes de poissons d'eau douce et d'eau salée.» Cuisiner régional, explique-t-il, n'a rien de limité. La Suède s'étale tout du long, avec des îles au sud où poussent des fraises et des eaux polaires aux poissons spectaculaires.

Une autre des grandes vedettes de la cuisine nordique en Suède s'appelle Niklas Ekstedt, chef chez 1900, une institution stockholmoise, et auteur de quelques livres de cuisine. Niklas, qui a déjà travaillé avec le Danois René Redzepi, de Noma, reconnu comme le grand leader de la nouvelle cuisine nordique (voir autre texte), adore lui aussi travailler avec les produits régionaux: des viandes nordiques aux fruits d'églantiers ou baies de genièvre. Pour me montrer un peu de quoi il retourne, il m'amène dans le sous-sol, au marché Hötorget, dans le centre de la capitale suédoise. «En haut, c'est pour les passants; ici, c'est le vrai marché», note-t-il en me montrant les étals variés où l'on peut trouver tout le knäckebröd, le hareng mariné et toutes les brioches à la cardamome que l'on veut. Chez les fromagers, les nouvelles créations régionales de brebis, de chèvre sont tellement nombreuses que le chef avoue avoir de la difficulté à suivre cette évolution fulgurante.

Dans la vitrine d'un boucher, il y a une demi-douzaine de pièces de viandes fumées. «Ici, mêmes les Suédois ne savent pas les noms de ces bêtes», lance le chef en riant. Sous la vitrine, à côté de chaque morceau, on a mis la petite photo de chacun de ces cervidés.

Et tous, on dirait, ont l'air d'être prêts à tirer le traîneau du père Noël.

BOULETTES SUÉDOISES

C'est le chef Niklas Ekstedt, du restaurant 1900, une des vedettes de la scène gastronomique suédoise, qui m'a expliqué comment préparer les fameuses boulettes suédoises. Il s'est lui-même inspiré de la recette du grand chef suédois Tore Wretman pour préciser la sienne. Folklorique ? lui ai-je demandé, au sujet de ce plat typique. « Pas du tout, on en sert encore une tonne, tous les jours. « La clé : utiliser de la crème pour humecter la mie de pain, passer la viande deux fois au hachoir, faire frire dans du vrai beurre et épicer uniquement à la muscade.

Boulettes

500 g de viande hachée (mélange de boeuf, veau et porc)

3/4 tasse de mie de pain blanc

125 ml (1/2 tasse) de crème 35 %

1 oeuf

1/4 c. à thé (ou plus, au goût) de muscade

Beurre

Sel et poivre

Pour la sauce

2 échalotes grises hachées très finement

1/2 tasse de crème 35 %

1/2 tasse de bouillon (poulet, veau, boeuf...)

Muscade

Sel et poivre

Préparation

1. S'assurer que la viande est hachée le plus finement possible, soit en demandant au boucher de la passer deux fois au hachoir, soit en la hachant de nouveau soi-même à la maison.

2. Faire tremper la mie de pain dans la crème pendant 15 bonnes minutes.

3. Mélanger viande hachée, mie de pain et crème, oeuf et muscade. Faire une pâte que l'on façonne en boulettes. Faire reposer les boulettes quelques minutes. Ajouter un peu de mie de pain sèche si la pâte est trop liquide, de la crème si elle est trop friable.

4. Faire fondre du beurre dans une poêle à frire pour y faire revenir les boulettes pendant une bonne douzaine de minutes (il faut que la viande soit cuite d'un bord à l'autre). Comme on ne peut pas toujours les faire cuire toutes en même temps dans la même poêle, ajouter du beurre dans la poêle pour la deuxième série. (On peut alors garder la première série au four, pour qu'elles restent chaudes.)

5. Une fois que les boulettes sont cuites, on peut ajouter du beurre dans la même poêle, faire frire les échalotes grises émincées, déglacer avec le bouillon (laisser mijoter un peu pour que la sauce gagne un peu de texture) puis ajouter la crème et réchauffer. Saler et poivrer, au goût. Et saupoudrer de muscade, au goût aussi. Cette sauce accompagnera les boulettes, qu'on mange aussi avec des pommes de terre et une confiture de baies sauvages (canneberges, airelles) pas trop sucrée.