Ce ne sont pas les premiers chefs canadiens ou québécois à partir tenter leur chance dans la métropole américaine. Mais ces trois chefs font partie d'une nouvelle garde qui fait beaucoup parler d'elle, notamment parce que la cuisine montréalaise dont ils sont issus, incarnée par le Pied de cochon, a fait ces dernières années un véritable tabac chez ceux que l'Amérique appelle les «foodies». La chroniqueuse Marie-Claude Lortie revient de New York où, en compagnie du photographe Ivanoh Demers, elle a rencontré Hugue Dufour, Noah Bernamoff et Mehdit Brunet-Benkritly, et jeté un coup d'oeil à leurs menus.

Noah, Mehdi, Hugue, et les autres

Un est à Queens, l'autre à Brooklyn et le troisième à Manhattan. Mais tous sont québécois. Tous ont des compagnes américaines. Et tous ont décidé de tenter leur chance et d'affronter, avec leurs fourneaux et leurs louches, le difficile univers des gourmets new-yorkais. Rencontre avec trois chefs québécois qui tentent délicieusement leur chance dans la ville qui ne dort jamais (et qui mange toujours).

Hugue

«Ça va super bien. Mais ça va vite. Mettons pas mal vite...» Il est 17h à Long Island City et le chef Hugue Dufour reprend son souffle. L'ex-chef de cuisine du Pied de cochon vient tout juste de terminer le service chez M. Wells, le nouveau «diner» qu'il a ouvert l'été dernier avec sa femme, l'Américaine Sarah Obraitis, à Long Island City. La journée a été plus que remplie pour le petit restaurant hors Manhattan, qui vient à peine d'obtenir son permis d'alcool. Et le week-end s'annonce tout aussi fou.

Au début de l'année, le New York Times a inscrit le M. Wells sur la liste des 10 restaurants dans le monde valant un déplacement en avion, tout juste à côté de la nouvelle adresse du chef David Chang à Sydney, en Australie, et du nouveau bar de Ferran Adrià, à Barcelone.

Comme publicité, on peut difficilement trouver mieux.

D'ailleurs, le maire Michael Bloomberg vient tout juste de demander aux Dufour-Obraitis de préparer un repas privé. Veut-il de la tourtière aux champignons? Oui, celle que les cuisinières doivent préparer sur le comptoir tellement la demande déborde.

Y aura-t-il des escargots à la moelle, exquise et fondante combinaison de douceur et de résistance sous la dent? Servira-t-on les choux de Bruxelles braisés avec oeufs et bacon?

Chez M. Wells, on adore la viande et les abats, célébrés dans l'esprit riche et ludique du Pied de cochon, mais avec plus de légumes: des morilles ici, des carottes là et même une salade grecque...

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Le chef de M.Wells, Hugue Dufour

Noah

Non loin de là, à Brooklyn, dans un quartier appelé Boerum Hill, un autre Canadien, Noah Bernamoff, ne tarit pas d'éloges pour son compatriote. «Bientôt on dira d'eux que c'est un des cinq meilleurs restaurants de New York, lance le Montréalais exilé au sujet de l'équipe de M. Wells. Ils m'inspirent beaucoup.»

Marié lui aussi à une Américaine, Bernamoff s'est lancé à peu près en même temps que Dufour dans la grande aventure du restaurant new-yorkais, après des études en droit.

Son deli un peu plus modeste, Mile End, n'était pas sur la dernière liste élogieuse du Times. Mais son sandwich au «smoked meat», qu'il fume lui-même, fait parler de lui partout à New York. Le Village Voice, le magazine New York, le New Yorker, le Wall Street Journal... Tous ont été séduits ici par la qualité de la viande, là par l'originalité du menu rempli de touches hébraïco-montréalaises ou par l'atmosphère rétro sympathique du petit restaurant, où pratiquement tout a l'air d'avoir été recyclé ou récupéré.

Au menu, les plats font écho au Montréal juif du siècle dernier. Le Beauty, le Ruth Wilensky... Ne manque qu'une assiette Mordecai Richler.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Le chef du restaurant Mile End, Noah Bernamoff

Mehdi

Bernamoff et Dufour ne sont même pas les seuls Québécois à tenter actuellement de percer sur la scène, remplie d'autant de promesses que d'écueils, de la restauration new-yorkaise.

Dans le sud de Manhattan, dans West Village, Mehdi Brunet-Benkritly, un autre ancien du Pied de cochon, mais aussi du Réservoir, tente sa chance chez Fedora.

Petit restaurant de quartier, institution italienne fermée faute de relève puis reprise par un restaurateur en vue du quartier, Fedora a été quelques mois en rénovations mais vient tout juste de rouvrir. Mehdi est le chef de cette relance, de cette «réouverture la plus attendue», pour citer Grub Street, le site spécialisé en nouvelles de la restauration du magazine New York.

Déjà, quand nous l'avons rencontré avant Noël, l'homme de 35 ans originaire d'Ottawa était débordé. Il était en train de peaufiner son menu, sa liste de fournisseurs.

Mehdi s'est installé à New York à l'automne. L'idée de partir s'installer dans la métropole lui trottait dans la tête depuis longtemps, mais il n'était pas pressé, dit-il. «J'aimais beaucoup le Pied de cochon.» Mais les astres se sont alignés cet été, entre ses amours new-yorkais et une proposition «qu'il ne pouvait pas refuser» de Gabriel Stulman, restaurateur rencontré à Montréal qui avait déjà lancé d'autres restaurants solides, pas loin du Fedora.

Son aide a été précieuse, notamment pour obtenir tous les papiers nécessaires. Le métier de chef n'est pas dans un secteur où il manque d'expertise aux États-Unis, explique-t-il. Il fallait donc convaincre les autorités américaines de la grande spécificité du talent artistique du jeune Canadien.

Le menu du Fedora, toutefois, n'aura rien de typiquement québécois, contrairement aux tourtières de M. Wells ou du «smoked meat» du Mile End.

Chez Fedora, Mehdi veut faire du «nord-américain légèrement décalé», ponctué par des influences internationales.

La carte est donc composée de raie sur l'os (avec moelle), de langue de boeuf wagyu, d'un plat combinant poulpe et ris de veau...

Mais si on cherche bien sur le menu, on trouve un plat qui ressemble drôlement à «un oeuf dans le trou», servi avec cheddar et ragoût de tripes.

Oubliez la poutine. Entre ce plat de Mehdi, le ketchup aux fruits de Hugue et les bagels montréalais chez Noah, c'est toute la cuisine réconfort québécoise que les New-Yorkais sont en train d'adopter, tout en la voyant se transformer grâce à ces nouvelles toques venues du Nord

M. Wells

21-17, 49th Avenue, Long Island City, Queens, 718-425-6917

mwellsdiner.com

Fedora

239, W. 4th St., New York, 646-449-9336,

Mile End

97a, Hoyt Street,  Brooklyn,  718-852-7510

mileendbrooklyn.com

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Mehdi Brunet-Benkritly, de chez Fedora