3h30 du matin Le Frédérike. C.II. quitte la marina de Rimouski dans la nuit noire. Le bateau des Pêcheries Malécites met le cap sur la Côte-Nord, traverse l'estuaire du Saint-Laurent et va jeter une cinquantaine de casiers à l'eau, au large de Forestville. Le jour se lève enfin.

À bord, le capitaine Laval Dionne et son équipage n'ont pas le temps d'admirer le soleil orange qui se lève. Une longue journée de travail commence pour eux. Après sa virée au nord, le bateau reviendra vers le Bas-Saint-Laurent relever ses premiers casiers de crabe des neiges de la saison. En après-midi, il sera déjà dans toutes les poissonneries du Québec maritime. «C'est la folie, tout le monde se l'arrache!», lance Clément Daraiche de la poissonnerie Cévic, à Sainte-Anne-des-Monts. Même frénésie à Montréal et Québec où le crabe trône dès le lendemain matin dans les poissonneries, prêt à atterrir tout frais dans nos assiettes, à la maison ou au restaurant...

Jadis rejeté par les pêcheurs, voire détruit parce qu'il abîmait les filets, le crabe des neiges est désormais l'une des principales espèces pêchées au Québec.

Habitant des eaux froides et salées de l'estuaire et du golfe du Saint-Laurent, il a acquis ses lettres de noblesse à la faveur d'une forte demande japonaise et américaine et fait désormais l'objet d'une pêche contrôlée.

Quotas de pêche

«Les quotas sont essentiels pour protéger la ressource», estime Pierre Girardin, propriétaire de Capitaine Crabe, qui fait la navette depuis 10 ans entre Rimouski et le marché Maisonneuve pour offrir du crabe frais aux Montréalais. «Il n'y a pas de signe de surpêche et le stock est en bonne santé, assure Jean Lambert, biologiste de l'institut Maurice-Lamontagne, à Mont-Joli, et évaluateur de l'espèce avant ajustement, chaque printemps, des quotas de pêche dans l'estuaire et le nord du golfe, en fonction du cycle naturel du crabe des neiges.

Dans cette zone, «on commence de belles années pour le crabe», se réjouit Laval Dionne, avec des prix en hausse pour les pêcheurs. Sans être bon marché pour le consommateur: il se détaille vivant autour de 7$ la livre et cuit autour de 12$ la livre, à Montréal.

Pleins feux sur la bête

Le crabe des neiges a un corps presque rond sous une carapace brun clair ou orangé pouvant atteindre 16 cm de diamètre pour les mâles. Son le poids varie de 350 g à 1,3 kg. Pour préserver l'espèce, seuls les mâles sont pêchés et à condition d'avoir une carapace d'au moins 9,5 cm de large. «Il vit en couche d'eau profonde et froide, sur des fonds vaseux et sablonneux», explique Émilie Mendoza, biologiste d'Exploramer, musée sur le milieu marin du Saint-Laurent situé à Sainte-Anne des Monts.

Exploramer a créé le programme Fourchette bleue qui fait la promotion de produits de la mer comestibles, mais méconnus. L'été, on organise aussi des sorties éducatives en mer pour aller lever un casier de crabes des neiges. «Charognard et nécrophage», dit la biologiste, ce crabe se nourrit de vers marins, poissons, autres crustacés, oursins ou zooplancton. Et de harengs, utilisés comme appâts de pêche.

Une pêche miraculeuse

La levée des premiers casiers à bord du Frédérike. C.II. témoigne du pouvoir d'attraction des harengs sur le crabe des neiges! Les grosses trappes à armature d'acier et filets, larges de 2 m à la base, sont remplies d'une centaine de beaux crabes.

La ligne de pêche compte huit à neuf casiers et un kilomètre de cordage. Le capitaine dirige la manoeuvre de levée avec treuil. Quand le casier sort de l'eau, il faut le tirer au-dessus du pont, ouvrir le filet du fond. Sa «cargaison» s'étale alors sur le pont, puis on trie les crabes à genoux: les gros dans une caisse (pour les poissonneries), les moyens dans une autre (pour l'usine) et les plus petits (rejetés à la mer). Un pêcheur enlève les vieux appâts de harengs et les remplace par de nouveaux.

«C'est ce qu'il y a de meilleur pour le crabe», assure Laval Dionne. La ligne relevée et les crabes mis en caisse, les casiers sont remis à l'eau un à un. L'opération se répète sept à dix fois pour autant de lignes de pêche. À plus de 1200 livres de crabe chacune pour 7 lignes ce jour-là, la pêche est bonne! Pendant les rares pauses, l'équipage descend les caisses pleines à la cale, jette les vieux appâts, prépare les suivants, nettoie le pont...

En début d'après-midi, au port de Rimouski, il restera encore à sortir les caisses de la cale pour la pesée sur le quai et à préparer la pêche du lendemain, de plus en plus tôt, pour suivre le «cycle» du soleil.

Où acheter son crabe ?

En balade au printemps dans une région de pêche, le mieux est de le manger au restaurant ou de l'acheter dans une poissonnerie locale, voire en direct, comme le font les Pêcheries Malécites à Rimouski. Ailleurs, toutes les poissonneries offrent du crabe frais jusqu'en juin, surtout cuit, après avoir été cassé vivant, en deux sections de cinq pattes. Comptez deux à trois sections par personne en plat principal, une en entrée. Quelques poissonneries, comme celle (saisonnière) du Capitaine crabe ou les Délices de la mer, au marché Jean-Talon, le vendent aussi vivant. Capitaine crabe propose en outre de le casser pour vous en sections et de le nettoyer, vous laissant le soin de le cuire, dans les deux heures.

Le crabe des neiges ne se garde pas longtemps vivant: un à trois jours après la pêche, dit le propriétaire de Capitaine Crabe, Pierre Girardin, et à condition d'«être dans une glacière, humidifié au vaporisateur et recouvert d'un linge humide».

Cuit entier, il est préférable de le manger le jour même.

Un bon crabe pour une personne pèse une livre et demie à deux livres. Certains apprécient le «far» verdâtre du corps, mais la plupart ne mangent que la chair blanche. Il est également offert congelé, décongelé et en conserve, maisil est tellement meilleur frais!

Un crustacé nutritif

La valeur nutritive du crabe des neiges est aussi élevée que sa valeur gustative. Pour 100 g, il ne procure que 115 calories, à condition de ne pas l'accompagner de mayonnaise ou de beurre ! Fort en protéines, en fer et en vitamine C, il l'est aussi en sodium, puisque vivant en eau salée.