Mardi et mercredi derniers, dans le cadre du congrès de l'ACFAS tenu à Sherbrooke, a eu lieu un colloque intitulé Lectures du patrimoine alimentaire: pour une étude de la gastronomie québécoise. Organisé par les chercheuses Geneviève Sicotte (Université Concordia) et Marie-Noëlle Aubertin (UQAM), la série de communications et de tables rondes visait à lancer des pistes de réflexion autour d'un sujet qui passionne de plus en plus les Québécois: la bouffe! Voici quelques-unes des observations qui sont ressorties de ce brassage d'idées.

Une cuisine métissée

Il n'y a pas longtemps, le concept d'une cuisine ou d'une gastronomie proprement québécoise faisait sourciller les tenants du bien-manger. Impossible, pensait-on, que notre pâté chinois, nos tourtières ou notre sirop d'érable soient assez raffinés pour participer d'une gastronomie. Puis, du reste, qu'y avait-il de proprement québécois dans une cuisine influencée tour à tour par les traditions française, britannique et américaine? Que fait-on de la cuisine et des traditions autochtones?

Et si tous ces métissages étaient justement ce qui constitue aujourd'hui le «patrimoine gastronomique québécois» ? Dans une province d'immigration comme le Québec, on ne peut pas non plus passer sous silence la contribution culinaire plus tardive des Italiens, Portugais, Haïtiens et autres Maghrébins.

Prenons cette pratique de plus en plus ancrée et répandue de la bière québécoise. Le fait qu'elle soit de tradition belge la rend-il moins québécoise? Nos fromages sont-ils moins d'«ici» parce qu'ils s'inspirent des savoir-faire français, suisse ou britannique? Et si «proprement québécois» ne voulait pas nécessairement dire exclusif au Québec? «On commence enfin à ne plus avoir honte d'être métissés», confirme Marie-Noëlle Aubertin.

Qu'est-ce qui est gastronomique?

On pourrait s'attarder très longuement sur cette question. Posons-la autrement: un hamburger peut-il être aussi gastronomique que du foie gras? Presque tous les intervenants du colloque semblent penser que oui. «Il faut atténuer les barrières sociales pour désigner des aliments dans lesquels on peut tous se retrouver», croit Geneviève Sicotte. «La gastronomie ne doit pas être seulement élitiste», reprend la chef Diane Tremblay, propriétaire du restaurant Le Privilège, à Chicoutimi. Une vision élargie de la gastronomie s'impose.

Qu'est-ce qui est patrimonial?

Le mot «patrimoine» décrit le plus souvent un objet ou une pratique faisant partie d'une culture depuis plusieurs générations. Mais, d'après Geneviève Sicotte, le patrimoine ne serait pas qu'une histoire de passé. Le mouvement actuel de redécouverte et de valorisation du terroir, la réinterprétation de certains classiques, par exemple, participent aussi à son évolution et à sa construction.

Par ailleurs, la gastronomie a-t-elle sa place dans le patrimoine immatériel de l'UNESCO? On sait que le repas gastronomique français et la cuisine traditionnelle mexicaine en font désormais partie.

«Le patrimoine se construit souvent en raison d'un sentiment de perte», explique Marie-Noëlle Aubertin, l'une des organisatrices du colloque. Les fromages québécois, par exemple, n'ont jamais été plus populaires qu'après la crise de la listériose, qui a sérieusement menacé cette petite industrie en plein essor.

Le patrimoine culinaire québécois au supermarché

Jordan LeBel, spécialiste du marketing alimentaire et professeur à l'Université Concordia, a pour sa part arpenté les rayons de plusieurs supermarchés pour vérifier la place qu'ils font au «patrimoine alimentaire québécois». Il en est ressorti avec la conviction que les grandes bannières ne sont pas particulièrement engagées dans la valorisation des produits «typiquement» québécois. Outre quelques affichettes annonçant les «fruits et légumes d'ici» ou une «gamme exclusive de fromages artisanaux du terroir du Québec» comprenant cinq ou six types de fromages, on fait peu mention de la chose. Dans l'un des supermarchés, celui qui se fait appeler «Dr Pleasure» est même tombé sur un présentoir de recettes dont aucune ne renvoyait à l'idée qu'on se fait d'un patrimoine culinaire québécois. Bref, la gastronomie québécoise gagnerait à ce que tous les acteurs de la chaîne, et particulièrement ceux de la distribution alimentaire, se sentent concernés par sa mise en valeur.

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Un corpus (très partiel) du patrimoine gastronomique québécois

Ingrédients:

> Sirop d'érable

> Maïs

> Pomme

> Fraise

> Pomme de terre

> Porc

> Produits de la chasse et de la pêche

> Lait

Plats et préparations:

> Pâté chinois

> Tourtière

> Cipaille

> Cretons

> Jambon

> Poutine

> Fèves au lard

> Pouding chômeur

> Sucre à la crème

> Galette

> Cidre

> Bière

> Fromages

Pratiques:

> Cabane à sucre

> Le «sacro-saint» souper en famille

> Pizza et bière après un déménagement

> Brunch du dimanche au restaurant

> 5 à 7 du jeudi entre collègues et amis

> Boire du vin en mangeant