Mars 1998. Un inconnu s'introduit dans le restaurant londonien Aubergine, où Gordon Ramsay fait la loi devant les fourneaux. Il vole le livre de réservations et s'enfuit en cyclomoteur.

Le jeune Gordon Ramsay accuse sans le nommer son ancien mentor, Marco Pierre White, premier chef britannique à recueillir trois étoiles Michelin. «Rubbish», répond White.

N'importe quoi!

Les couteaux volent bas.

L'affaire reste mystérieuse... jusqu'en 2007. Gordon Ramsay confesse être l'auteur du coup monté. Pourquoi? Il croyait à cette époque que ses patrons allaient le remplacer par... Marco Pierre White! «C'était mon coup de génie, le mettre dans la merde... Cela aurait été la fin pour moi si j'avais été découvert. Mais ce sont les risques à prendre», a-t-il dit plus tard, dans une entrevue au magazine The New Yorker.

À l'époque de cet aveu, le chef était au sommet de sa gloire. Il était propriétaire d'une douzaine de restaurants à Londres, Tokyo, Dubaï, Prague et New York et détenait une fortune évaluée à 80 millions de dollars.

Des millions de téléspectateurs suivaient ses téléréalités en Grande-Bretagne et à la chaîne américaine Fox (Ramsay's Kitchen Nightmares, Hell's Kitchen), autant pour son art culinaire que pour ses insultes pimentées de jurons.

Une douce revanche pour Gordon Ramsay, dont le caractère semble avoir été façonné par les coups de ceinture de son père alcoolique, pour qui la cuisine, «c'était pour les tapettes».

Le chef aujourd'hui âgé de 44 ans était quant à lui perçu comme un bon père de famille, une force de la nature dans un milieu hyper compétitif. Ses étoiles Michelin apportaient de la substance au personnage impitoyable, presque caricatural, du petit écran.

Qui trop embrasse...

Cependant, son appétit pour les nouveaux projets l'a mené au bord du gouffre. En 2008, au plus fort de la récession, Gordon Ramsay ouvre huit restaurants, notamment dans des hôtels détenus par le géant financier Blackstone.

En seulement quelques mois, il se retrouve le couteau à la gorge: la firme comptable KPMG lui recommande de déclarer faillite.

«C'était prévisible, il a voulu étendre ses activités trop vite», dit Peter Harden, dont le guide gastronome, Harden's, avait prévu le déclin de Ramsay en 2008.

Pas question pour le chef de baisser les bras. Il cède les clés de la plupart de ses restaurants étrangers aux hôtels qui les abritent et devient leur consultant. Il injecte 8 millions de dollars dans Gordon Ramsay Holdings avec son partenaire et beau-père, Chris Hutcheson.

Son empire est sauf, mais pas sa réputation. Le tabloïd News Of The World l'accuse de tromper sa femme depuis sept ans avec une escorte de luxe, Sarah Symonds. Ce qu'il nie. Plusieurs de ses protégés quittent le bateau, dont Marcus Wareing, qui a ensuite raflé à son ancien maître le titre de meilleur chef de Londres.

En octobre 2010, coup de théâtre. Gordon Ramsay met à la porte son beau-père et premier bailleur de fonds. La raison: M. Hutcheson menait une double vie. Il avait eu deux enfants avec une seconde femme.

Star américaine

Ces feuilletons ont eu des conséquences inévitables: même s'ils ont renoué avec les profits, les restaurants londoniens de Gordon Ramsay ont perdu du galon. Les trois étoiles Michelin de son restaurant éponyme sont discutables, selon l'éditeur culinaire Peter Harden.

Heston Blumenthal, alchimiste gastronome chef du célébrissime The Fat Duck, lui est préféré par les gourmets britanniques.

Et pourtant...

Même si Gordon Ramsay n'est plus la saveur du mois dans son pays, il est omniprésent à la télé américaine, qui lui permet d'empocher 250 000 $US par épisode. Résultat: il a déménagé à Beverly Hills en mars dernier avec sa femme Tana Hutcheson et leurs quatre enfants.

«La télévision est devenue beaucoup plus profitable que la restauration, explique M.Harden. Un chef célèbre m'a avoué dernièrement qu'il ne pensait plus avoir besoin de restaurants pour maintenir sa carrière.»

Gordon Ramsay l'avait peut-être déjà compris lorsqu'il a déclaré à l'agence Bloomberg, en 2009: «Je veux une vie en dehors de ma cuisine.»

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Gordon Ramsay en 10 dates

>1966: Naissance de Gordon James Ramsay, en Écosse. Il est ensuite trimballé d'une adresse à l'autre par sa mère et son père, qui fuient les huissiers. L'aîné de quatre enfants quitte le foyer à 16 ans.

>1984: Une blessure à un genou met fin à son rêve d'une carrière au soccer.

>1985: Il s'inscrit à un institut d'hôtellerie.

>1988: Il convainc le père de la cuisine britannique moderne, Marco Pierre White, de l'embaucher. «Il m'a tout appris», dira Gordon Ramsay plus tard.

>1989: Gordon Ramsay s'installe en France, où il s'entraîne dans les cuisines de Joël Robuchon et Guy Savoy pendant trois ans.

>1998: Le nouvel enfant terrible de la gastronomie britannique ouvre son premier restaurant éponyme avec l'aide financière de son beau-père. Il décroche trois étoiles Michelin en trois ans.

>2001: Attirée par sa réputation de mauvais garçon, la firme d'investissement Blackstone l'installe devant les fourneaux de ses hôtels de luxe.

>2004: Gordon Ramsay fait ses débuts à la télévision britannique. Avec six restaurants sous sa tutelle, il est sacré meilleur chef de Londres par les critiques gastronomiques.

>2009: Au milieu de la récession, les profits de son empire chutent de 90%. Suivent des fermetures de restaurants en rafales. L'utilisation d'aliments préparés à l'avance dans quatre de ses établissements londoniens fait scandale.

>2011: La sauce ne prend plus entre les Britanniques et le chef, meurtri par une prise de bec publique avec son beau-père. Il déménage à Hollywood en mars. Son rôle dans la réouverture de la Rôtisserie Laurier, à Montréal (notre photo), est gardé secret comme une affaire d'État. C'est sa première aventure culinaire en sol canadien.