Pour les clients des restaurants de Hong Kong, c'est le mets vedette d'un festin. Pour les défenseurs de la nature, c'est l'un des pires plats au monde. La soupe aux ailerons de requins divise, mais elle est avant tout, pour les Chinois, un signe de statut social.

La louche dorée est apportée sur son présentoir. Une serveuse dépose la soupière fumante sur la table et verse avec précaution le potage dans chaque bol.

«C'est plein de bonnes choses», déclare Lisa Lau, qui fête son anniversaire avec ses amis au restaurant. \Dans la culture chinoise, quand une famille est de sortie ou quand nous voulons faire honneur à nos amis, nous mangeons quelque chose de bon. Et la plupart du temps, il s'agit de soupe aux ailerons de requin».

Pour un palais occidental, ça n'a rien de spécial: un morceau un peu caoutchouteux dénué de saveur, dont le goût provient de la sauce qui l'accompagne.

Mais pour les Cantonais, l'aileron de requin est une expérience culinaire hors du commun, dont la saveur est le facteur le moins important.

Parce que le plat est coûteux, en consommer, en offrir à ses relations d'affaires, à des parents ou amis, permet d'asseoir son statut social, un élément clé dans la culture chinoise.

«Les banquets importants, notamment ceux des mariages, comprennent en général la soupe aux ailerons. C'est notamment capital pour les classes moyennes, voire ouvrières, qui montrent ainsi à leurs relations qu'elles peuvent s'offrir un tel plat», explique Veronica Mak, anthropologue à l'université chinoise de Hong Kong.

Ce qui compte, c'est la taille et l'aspect de l'aileron. Les dorsaux sont plus cotés que les ventraux ou les pectoraux, mais la queue est aussi très appréciée, selon les vendeurs. Ceux du redoutable requin-tigre sont des plus prisés.

Selon la médecine chinoise traditionnelle, manger de l'aileron renforce la santé et consolide les os.

Au Fung Shing, un restaurant de Hong Kong qui consomme 200 kg d'ailerons par semaine, une soupière pour 12 personnes est proposée à 1080 dollars de Hong Kong (95 euros).

«Si vous organisez un banquet, il est considéré comme grossier de ne pas proposer de la soupe d'ailerons. Vous aurez l'impression de perdre la face», affirme même Tam Kwok King, le responsable de l'établissement.

Dans la cuisine, les ailerons séchés sont trempés pendant des heures, jusqu'à prendre une apparence caoutchouteuse, avant d'être poêlés rapidement, avec épices et condiments. On les ajoute ensuite à un potage et le tout mijote quatre heures au four, jusqu'à ce que les ailerons deviennent translucides et réduits à une fraction de leur taille d'origine.

Ces agapes suscitent l'indignation des défenseurs de la nature. Ils rappellent que les pêcheurs tranchent les appendices sur les requins vivants, qui meurent ensuite en mer, incapables de nager.

L'engouement des Chinois pour ce plat entraîne une dépopulation massive des requins, des prédateurs jouant un rôle clé dans la chaîne alimentaire sous-marine, ajoutent-ils.

«La plupart de mes amis pensent que consommer des ailerons juste de temps en temps ne pose pas un gros problème. Mais c'est cette consommation occasionnelle qui pousse de très nombreux bateaux à chasser les requins dans le monde», note Silvy Pun, de l'organisation mondiale de protection de la nature (WWF) à Hong Kong.

«Nous tuons un requin pour en consommer 2,5%, alors qu'il faut dix ans pour qu'il atteigne sa maturité», ajoute-t-elle.

Les comportements commencent toutefois à changer, notamment chez les jeunes urbains.

She On Kuen, qui vend des ailerons depuis des décennies dans un quartier de Hong Kong spécialisé, note que de plus en plus de jeunes décident de s'en passer pour leur banquet de mariage, par respect pour la nature.