Alex Cruz et Cyril Gonzales ont de grandes ambitions: mettre Montréal sur la carte, revaloriser le travail de l'agriculteur, faire rayonner notre terroir boréal et redonner aux restaurateurs d'ici et d'ailleurs l'exclusivité de certains produits rares et audacieux.Car selon eux, l'agriculture de masse telle qu'elle est pratiquée de nos jours n'a pas d'avenir.

«Il est clair que notre agriculture «moderne» n'a de moderne que le nom. En effet, l'agriculture de notre temps est dirigée par quelques marionnettistes qui handicapent notre capacité d'avancement, faisant de celle-ci leur chasse gardée», peut-on lire dans le manifeste de leur nouvelle Société-Orignal.

N'empêche qu'il existe au Québec de plus en plus de gens de la terre qui travaillent différemment. Messieurs Cruz et Gonzales, alias Air Orignal et Grand Ours (!), veulent faire connaître ces personnes et leurs produits d'exception. Ils veulent les appuyer dans le développement de leurs produits de niche selon les demandes et les tendances actuelles en gastronomie, et la mise en marché de manière moderne et alléchante.

En tant que professionnels de la restauration (Alex est copropriétaire du restaurant DNA, où Cyril travaille en salle, tout en faisant ses études de comptable), ils connaissent les besoins et les fantasmes culinaires des chefs. Ils savent quels types de produits les font vibrer. Et pour les appâter bien comme il faut, ils leur proposent des exclusivités, des versions «grand cru» de produits existants ou inventés, déclinés comme autant de «projets» éphémères. Parmi ces nouveautés: un sirop d'érable artisanal réduit à la consistance parfaite pour en faire un produit de finition, un miel d'amalgame au petit goût salé, et de l'huile de tournesol provenant des quatre parcelles au terroir le plus caractéristique d'une ferme de la Montérégie.

Là où tout a commencéLa semaine dernière, les deux «entremetteurs» gastronomiques nous ont reçus chez l'un de leurs partenaires, Bernard Petit, éleveur de chèvres à Sainte-Angèle-de-Monnoir. C'est là que tout a commencé, il y a environ deux ans. Au retour d'un repas de cabane à sucre dans le coin, Alex Cruz s'arrête dans le rang de l'Église, attiré par une affiche sur laquelle on peut lire: «Et pourquoi ne pas s'offrir un fromage de chèvre de chez nous?» Il rencontre le producteur, un Belge d'origine qui n'a pas peur de sortir des sentiers battus.«Quand j'ai vu la flamme dans leurs yeux, je me suis dit: s'ils osent, j'ose moi aussi», se rappelle l'éleveur.

Petit à petit, l'agriculteur cesse de cultiver du soya et du maïs pour laisser ses ruminants brouter tout ce qui se trouve dans les champs. Le plus beau dans cette nouvelle chaîne alimentaire? Les résidus de tournesol de Loïc Dewavrin sont maintenant servis dans les mangeoires des chèvres de M. Petit.

Avec le lait de ces «entêtés», on produira un fromage, appelé... Mauvaise herbe. Puis, grâce aux nombreux contacts de ses nouveaux amis urbains, M. Petit vendra les chevreaux printaniers aux chefs, qui mettent de plus en plus cette viande délicate à leur menu.

Bien qu'il ait envisagé de devenir fromager, M. Petit ne produira pas lui-même le Mauvaise herbe, un fromage au lait cru, puisque l'installation de l'équipement pour la transformation du lait et l'aménagement d'une salle d'affinage étaient beaucoup trop complexes et coûteux. C'est donc en collaboration avec la Fromagerie Chaput, déjà experte dans les fromages de chèvre, qu'on développe présentement le produit. Les premiers petits cylindres à croûte lavée devraient être prêts cet automne.

Mais M. Petit n'est qu'un des nombreux producteurs québécois avec qui la Société-Orignal s'investit. Cette dernière démarre avec une quinzaine de produits, qui sont autant de projets, éphémères ou pas. «Tant chez les agriculteurs que chez les restaurateurs, on travaille avec des gens dont on aime la philosophie. Tout simplement, explique Alex. Tous ces échanges se font dans l'amitié et le respect et chaque agriculteur est maître chez soi. Il n'y a aucune obligation, ni d'une part ni de l'autre.»Dans les cuisinesJusqu'à maintenant, le milieu de la restauration s'est montré très enthousiaste. Alex et Cyril ont la chance de compter sur l'un des jeunes chefs les plus respectés à Montréal, Derek Damman (du DNA), pour tester les produits. Patrice Demers, chef pâtissier et copropriétaire du restaurant Les 400 coups, a entendu le «call» de l'orignal! Il fait présentement des expériences avec une farine de bleuets sauvages. La précieuse mouture n'a pas passé (esthétiquement) le test du financier, l'extérieur du petit gâteau ayant tourné au gris après la cuisson. Mais le maître du dessert croit toutefois qu'il aura du succès avec une recette de sablé cuit à basse température.

David McMillan, copropriétaire du restaurant Joe Beef, connaît déjà la plupart des producteurs avec qui travaillent Alex et Cyril, mais il n'hésitera pas à s'approvisionner auprès de la Société-Orignal, parce qu'il estime que la démarche est valable et, qu'à long terme, elle pourrait avoir un impact positif sur la reconnaissance de la gastronomie québécoise.

Et tant pis si ça coûte un peu plus cher. «Combien d'argent un restaurant envoie-t-il en Italie pour de l'huile d'olive et du vinaigre balsamique? Lance M. McMillan. Si on dépensait notre argent dans notre province ou dans notre pays, en buvant du jus de pomme au lieu du jus d'orange, en utilisant du vinaigre de cidre au lieu du vinaigre de vin et du sirop d'érable au lieu du sucre, les agriculteurs de chez nous et l'économie locale ne s'en porteraient que mieux.»

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Alex Cruz et Cyril Gonzales, les fondateurs de Société-Orignal, travaillent fort pour revaloriser le travail des agriculteurs québécois tout en offrant aux restaurateurs des produits rares et audacieux.