Apprendre à faire une glace au bacon, découvrir le goût du mouton des steppes kalmoukes ou manger une paella à la russe: 20 ans après la chute de l'URSS, Moscou est en passe de vivre une révolution gastronomique.

Pratiquement introuvables il y a quelques années, les restaurants à prix modérés misant sur les ingrédients de saison ont aujourd'hui pignon sur rue, les médias multiplient les rubriques culinaires et les représentants de la classe moyenne prennent du plaisir à cuisiner chez eux.

Surfant sur cette tendance, le magazine culturel Aficha a organisé le week-end dernier une gigantesque Fête de la nourriture en plein air, première du genre en Russie qui a connu un grand succès.

Environ 10 000 personnes ont afflué dans le fameux parc Gorki sur les bords de la Moskova pour goûter les menus spéciaux de 40 restaurants de la capitale, suivre des leçons de chefs ou acheter des produits fermiers.

Des couples accompagnés d'enfants en poussettes et des groupes d'amis n'ont pas hésité à faire deux heures de queue pour acheter du porc sous vide fumé sur de la braise ou du ragoût de poulet aux cerises et à la coriandre.

«Il y a eu une évolution dans la mentalité de la classe moyenne. Après 70 ans dans un ghetto gastronomique (à l'époque soviétique), nous avons goûté des plats exotiques et maintenant nous cherchons le juste milieu», explique à l'AFP Alexeï Zimine, rédacteur en chef de Aficha Eda (Nourriture), un magazine spécialisé filial d'Aficha, et organisateur de l'événement.

«Faire la cuisine est désormais un thème clé dans les médias. Il y a un flux d'information énorme sur le sujet», observe-t-il.

Sur scène, devant plusieurs centaines de spectateurs, il révèle quelques astuces: il faut faire sauter des crevettes au romarin trois fois sur la poêle pour qu'elles soient à la fois tendres et cuites.

Pour les amateurs de desserts insolites, le chef Ilia Chalev transforme du bacon en glace et prépare du caramel salé pour l'accompagner.

L'Américain Isaac Correa, propriétaire de plusieurs restaurants à Moscou depuis 2003, n'est pas en reste: chez lui, la glace se sert en cocktail avec du Pepsi et la mozzarella se mange avec de la pastèque.

«Les clients sont devenus experts, ils lisent, voyagent, découvrent, ils veulent échanger leurs expériences avec les chefs. Il ne leur suffit plus juste de manger un bon repas, ils veulent se divertir à un autre niveau», explique-t-il à l'AFP.

Le chef du restaurant Delicatessen, Ivan Chichkine, a présenté au festival une paella à la russe avec de l'épeautre qu'on ne trouve que dans deux régions russes et des champignons chanterelles.

Il recherche, dans les produits locaux, l'umami, la cinquième saveur fondamentale (après le salé, le sucré, l'amer et l'acide) définie par les Japonais.

«Pour assaisonner le poisson, à la place du miso, je vais utiliser la sauce des pommes marinées», spécialité typiquement russe, salée et aigre, souligne-t-il.

Tout en souhaitant promouvoir les produits fermiers comme l'épeautre, Ivan Chichkine reconnaît qu'il ne peut pas se baser seulement sur eux.

«Cela rendrait le menu trop cher et je veux rester dans des limites raisonnables pour que des gens ordinaires comme nous puissent venir dans mon restaurant».

Les rayons de produits fermiers, où l'on trouve du mouton de Kalmoukie (sud), des confitures de cerises jaunes du Daguestan (Caucase) ou des yaourts nature de la région de Moscou ne font pas l'unanimité.

Ioulia Fateïeva, mère de trois enfants, achète des fromages sans regarder le prix parce qu'elle «adore les produits fermiers».

Mais Marina Davydova trouve que tout est «hors de prix».

«J'achèterais volontiers des produits fermiers s'ils étaient au prix de ce qu'on trouve sur les marchés de Paris ou de Nice», explique-t-elle.

«Je voudrais aussi que cela coûte moins cher, mais ce n'est pas si simple», se défend Boris Akimov, fondateur du magasin internet Lavkalavka où l'on peut commander de la «nourriture fraîche paysanne».

«En France, cette culture est vieille d'au moins 500 ans. Chez nous, cela n'a commencé qu'il y a 20 ans. A l'époque soviétique, les fermiers ont été assassinés et leurs terres détruites par des produits chimiques».