Notre journaliste a passé une journée avec le chef du restaurant Flocons de Sel à Megève. Histoire d'une journée de tempête  de neige dans une cuisine où, vraiment, on ne s'ennuie jamais.

7h

Le soleil n'est pas encore levé que l'on s'active déjà dans la cuisine. Nadine Vincent  bras droit d'Emmanuel Renaut- termine la préparation des petits-déjeuners servis aux quelques pensionnaires du Flocons de Sel mais, surtout, elle entame celle du jour. Il faut vérifier l'état des provisions, appeler peut-être un fournisseur, veiller sur les apprentis.

9h30

Toute l'équipe d'Emmanuel Renaut devrait maintenant être arrivée: une quinzaine de cuisiniers ou d'apprentis, dont un chef pâtissier, plus une douzaine d'employés en salle pour servir à peine 40 couverts. Le chef devrait normalement faire le tour de quelques producteurs ou faire un saut au marché. Mais pas ce matin-là: la montagne a pris le dessus. La tempête tonne. Le cuisinier veille surtout à ce que le chemin jusqu'à son restaurant soit bien dégagé pour les clients. Après tout, si le resto est vide, à quoi bon sortir les chaudrons?

12h30

Emmanuel Renaut choisit son menu du jour et l'annonce à son maître d'hôtel. Enfin presque: il n'a toujours pas élu l'entrée. Des livraisons ont été annulées pour cause de tempête, il faut improviser, il se lance avec le topinambour, entier et en purée. Compose, goûte, rehausse, assaisonne encore, une, deux, trois, quatre, cinq fois. Sélectionne l'assiette à service  celle-ci est trop grande, l'autre trop profonde ou trop plate  fait goûter encore à ses acolytes. Nouvelle recette. Nouveau sourire satisfait.

13h

Un coup d'oeil à l'écran géant, situé juste au-dessus du comptoir central et branché sur les 10 caméras installées dans l'hôtel, informe le chef que les 10 premiers clients sont arrivés. «Allez hop! On se met en branle!» tonne-t-il. Alicia et Grégoire se lancent dans la préparation des «petits salés», les amuse-bouche servis à tous les convives: guimauves au parmesan, tuiles de riz noir et mousse aux herbes couronnée d'une feuille de pourpier (et attention, une belle!), gâteau de Savoie et filet de féra fumé, biscotte et mousse aux oeufs de féra. Tout est fait maison, au fur et à mesure. «Il n'y a aucun additif dans ma cuisine», se vante le chef.

13h30

Les premières entrées quittent la cuisine: chacune a fait l'objet d'une dizaine de manipulations, des soins de trois cuistots et du regard approbateur du chef. Les serveurs font le pied de grue devant le comptoir en attendant que les assiettes soient prêtes. Tout est affaire de synchronisation: le chef a horreur qu'une assiette prête attende ne serait-ce que quelques secondes. Un «S'il vous plaît» retentit chaque fois que la règle n'est pas respectée.

13h45

Il faut déjà commencer à préparer le plat de résistance. Ce sera de la perche, l'un des rares poissons disponibles à cette période dans le lac de Genève. Nadine Vincent en a soigneusement disposé ce matin des dizaines de filets sur de grandes assiettes pour accélérer les manipulations. Le mercure commence à grimper dans la poêle et dans la pièce. Les silhouettes de six nouveaux clients se détachent sur l'écran d'une caméra de surveillance: «Allez hop! Encore six petits salés!» Il faut tout ressortir, les guimauves, les tuiles, les feuilles de pourpier, alouette.

13h50

Changement de programme: un client est végétarien et refuse de goûter à la perche. Vite, un plan B. Ce sera du spaghetti de salsifis et truffe. Les six nouveaux clients prendront le menu dégustation: ça va chauffer.

14h

Dix mille feuilles de légumes sont prêtes à quitter la cuisine, les serveurs défilent sans prendre leur plateau pour que cela soit plus rapide.

14h02

Coup de torchon sur le comptoir, on nettoie tout et on recommence, il faut en préparer six autres.

14h03

Le maître d'hôtel vient chercher l'imposant plateau de fromages. Un autre serveur l'intercepte: les clients ne sont pas prêts, l'un d'eux s'est levé.

14h05

Tout le monde est en place, on repart avec le plateau de fromages. Tout est affaire de rythme, on le répète. «On ne servira jamais un plat s'il manque des gens à table», dit Emmanuel Renaut. D'où le mur d'écrans.

14h15

Une surprenante odeur de brioche fraîche enveloppe la cuisine. Hé oui, en pleine frénésie du repas du midi, il faut aussi préparer les autres essentiels du menu, les viennoiseries du matin, le pain servi midi et soir, préparer les légumes, le fond de veau, peler les légumes, décortiquer les écrevisses, tailler l'agneau pour le soir ou encore préparer les chocolats servis avec le café. À chacun sa tâche. Pas de répit pour quiconque.

15h

Le brouhaha retombe tranquillement dans la cuisine, sauf du côté pâtisserie. Vincent Thomassier doit préparer en quelques minutes huit desserts aussi fins et élaborés que différents: tarte au chocolat avec glace au bois, soufflé aux myrtilles, citron en coque de sucre et gelée, meringue lait d'alpage glacé et compote de rhubarbe.

15h30

Dernier pic de stress pour préparer les desserts d'une tablée de 10 convives. Tous doivent être prêts au même moment, incluant les soufflés. Les serveurs sont fidèles au poste. Après «les petits salés», Alicia se lance dans la préparation des mignardises: il faut chaque fois, faire chauffer des épices (anis étoilé, cannelle, muscade) placées près des chocolats pour en réveiller les parfums, garnir l'assiette de pots de crème parfumée au jasmin et de tartelettes à la prune.

16h

La cuisine est nettoyée. À l'exception d'un apprenti et de Nadine, qui font la journée continue, toute l'équipe du service du soir prend une petite pause pour casser la croûte. Enfin, presque. Le chef doit s'activer un peu pour réparer les dégâts causés par la tempête. Il sortira même sa tronçonneuse...

18h

La pause est déjà terminée. Emmanuel Renaut fait un saut dans son autre restaurant, situé en plein coeur de Megève, histoire de haranguer ses troupes.

18h30

Nadine Vincent termine sa journée: cela fait bientôt 12 heures qu'elle est là et son bébé de 19 mois l'attend.

19h

Tout le monde prépare ses instruments, sort ses couteaux, vérifie qu'il ne manque de rien.

19h05

Chef et sommelier font le tour de la cave à vin pour choisir, parmi 15000 bouteilles, celles qui seront servies ce soir.

19h15

Un détour par la chaufferie pour s'assurer que tout baigne avant de remonter au pas de course dans la cuisine.

19h30

Les trois enfants de Renault passent l'embrasser, il s'assure qu'ils ont bien mangé.

21h

L'excitation est à son comble en cuisine. Il faut préparer de tout en même temps: potage, viandes, entrées, petits salés et bientôt, même, des desserts. Chacun connaît sa tâche, chacun s'active, mais le chef y va tout de même de quelques coups de gueule bien sentis, s'inquiète d'un retard, d'un oubli, d'une cuisson imparfaite.

22h30

Le chef quitte la cuisine pour aller saluer les premiers clients qui s'apprêtent à partir, visiblement satisfaits.

22h45

On commence à ranger le nécessaire pour les entrées et à préparer la vaisselle pour le petit-déjeuner.

23h

Il reste encore trois tables, soit six desserts à préparer et autant de plats de mignardises.

23h30

La journée se termine tôt: les derniers clients viennent de régler la note. «C'était une assez petite soirée», laisse tomber le chef. Une vingtaine de clients sont passés, c'est moins que le nombre d'employés présents pour la préparation et le service. Le resto ne peut accueillir plus de 40 clients, c'est dire toute l'organisation requise pour chaque repas. On s'active maintenant pour tout nettoyer.

23h50

Dernier coup de torchon et de brosse à récurer. La cuisine étincelle. Les jeunes troupes rentrent au bercail. Le chef va poursuivre la soirée avec des copains. Rendez-vous demain, à 9h pour tout recommence à zéro.

Flocons de sel

1775, Route du Leutaz,

Megève.

www.floconsdesel.com