Il aura fallu qu'il lance son livre de recettes pour que le «reste du Québec» remarque le chef Sébastien Houle. Son restaurant, sEb l'artisan culinaire, est pourtant considéré comme l'une des meilleures tables des Laurentides depuis son ouverture à Mont-Tremblant, en 2005. Rencontre avec un jeune chef de 34 ans, au parcours tout à fait atypique.

C'est le récit du parcours du chef, en plus des recettes et des photos, qui fait du livre L'artisan culinaire un ouvrage particulièrement intéressant. Car il en a bourlingué un coup, ce Seb. Enfant curieux et gourmand, chef autodidacte à ses débuts. Il a commencé jeune, travaillant d'abord dans une salle à manger de Repentigny, puis dans une cuisine italienne en Colombie-Britannique. Après un DEP à l'École hôtelière Barthélemy-Joliette, il a repris ses pérégrinations: Montréal, Banff, Lac Louise, Vancouver, Australie, Asie. Puis, après une petite séance de ressourcement créatif à Montréal, au restaurant de Ian Perreault (Area), il a mis le cap sur la Floride.

C'est au large qu'il a acquis une bonne partie de son expérience de travail, à titre de chef sur les luxueux yachts et voiliers privés de ce monde. «C'est un univers parallèle que très peu de gens connaissent. Une fois qu'on en fait partie, notre nom se met à circuler. C'est comme une grande famille. Tout le monde se connaît.»

Sur une de ces grandes embarcations, le M/S Beaugeste, un des plus beaux voiliers du monde, il a eu la chance d'avoir comme capitaine un grand gourmet. Dès qu'il mettait le pied sur la terre ferme, il partait à la recherche des meilleurs restos de l'endroit. De Nice à Marseille, le capitaine a trimballé son jeune chef dans les plus grandes tables de la Riviera française.

Des anecdotes sur la vie des gens riches et célèbres, Seb en a plusieurs dans son répertoire, mais il se garde bien de nommer qui que ce soit. Dans le livre, il raconte comment le capitaine du M/S Kaori, le Sud-Africain David Burns, le réveillait parfois en pleine nuit pour qu'il prépare un casse-dalle à des «dignitaires» bien imbibés. Les yeux fermés, celui pour qui les munchies post-fiesta n'avaient aucun mystère préparait des sandwichs Philly steak aux invités ravis.

Puis, un jour, il en a assez de sa vie de cuisinier nomade. «Je voyais 12 à 15 ports par année.» La trentaine approchait. Il était temps de retrouver le plancher des vaches. Puisque ses vacances au Québec l'amenaient souvent à Mont-Tremblant et que la station en pleine expansion manquait tristement de bonnes tables, il a décidé de poser ses pénates dans le «Nord».

Quant à son associé Guy Bourbonnière, il travaillait à l'époque pour une agence d'importation de vin et agissait à titre de consultant dans un restaurant français. Les deux gars se sont croisés. Une relation d'amitié et d'affaires est née rapidement entre le sommelier et le jeune chef. Ensemble, ils ont racheté le fonds de commerce du resto français et se sont installés dans la petite maison blanche de la rue Saint-Georges, à deux pas de la Principale.

«Je n'avais plus d'argent pour acheter des assiettes, se rappelle Sébastien Houle. J'avais réussi à m'en faire donner une douzaine, que je faisais tourner en salle, les lavant à mesure!»

Puis un client a cru en eux et leur a fait don de quelques milliers de dollars pour équiper le restaurant.

L'arrivée des VIP...

La célébrité suit le chef «Seabass» partout où il va, même dans les montagnes des Laurentides. Par un beau vendredi soir d'été, peu de temps après l'ouverture du restaurant, des clients très spéciaux ont franchi le seuil de la rare bonne table de Mont-Tremblant. Le couple d'acteurs formé par Catherine Zeta-Jones et Michael Douglas possède une ferme dans les Laurentides. Une ou deux fois par année, ils se rendent chez sEb avec enfants, nounou et grand-maman. Au fil des ans, le chef et le sommelier sont devenus assez proches du couple pour qu'il accepte de signer la préface de L'artisan culinaire. Guy Bourbonnière est même devenu le principal conseiller en vin de la cave personnelle des stars. Que boivent les acteurs? Madame raffole du Chardonnay, dont celui du vignoble québécois Les Pervenches!

Au restaurant, les vins québécois et canadiens occupent une belle place dans le cellier. Avec son bras droit Cory Ciona, Guy Bourbonnière prépare d'ailleurs un livre sur les vins de chez nous, à paraître aux éditions Modus Vivendi en octobre.

Lors de notre passage à Mont-Tremblant, dans l'esprit de la découverte, il propose de déguster un vin à l'aveugle. Nous croyons d'abord boire un Chardonnay ontarien. Il révèle finalement une bouteille d'Orpailleur blanc en fût de chêne (100% seyval blanc)! Plus tard, ce sera une mistelle (La Part des Anges) du même cépage et du même producteur qui accompagnera le dessert. Le reste de la carte est composé de vins assez éclectiques, pour la plupart de France, d'Espagne et d'Italie.

L'avenir

Aujourd'hui, sEb est un restaurant d'environ 70 places. On a fermé et hivernisé la terrasse l'automne dernier pour agrandir le restaurant. Il offre un service de traiteur, de plats pour emporter et de chef à domicile, entre autres.

Avec son bras droit et ami de longue date Ismael Osorio, Sébastien Houle enseigne les bases de la cuisine moléculaire aux plus aventureux. C'est sur une gastronomie expérimentale et multisensorielle que le jeune chef aimerait se concentrer pour les années à venir. Le tandem travaille régulièrement avec Erik Ayala-Bribiesca, chef et enseignant en technologie alimentaire à l'Université de Montréal. Ensemble, ils conçoivent de nouvelles recettes repoussant toujours un peu les limites de la gastronomie.

À preuve, un foie gras au torchon avec centre de pain d'épices cuit sous vide, plus fondant que du beurre. Ou encore un râble de lapin farci aux langoustines si moelleux qu'on le mangerait à la cuillère. Les entrées de croquette de tête fromagée et de saucisse d'escargot valent à elles seules le détour.

C'est dans cet esprit, sur des recettes de chef plus complexes mariées à un petit chapitre sur le moléculaire, que se conclut d'ailleurs le livre L'artisan culinaire. L'ouvrage a récemment remporté un prix au Gourmand World Cookbook Awards 2011, dans la catégorie «Canada français  Livre de cuisine de chef». Grâce à cette distinction, il sera en lice dans sa catégorie pour le grand prix du meilleur livre de cuisine au monde en mars, à Paris.

L'artisan culinaire, de Sébastien Houle, photos André Noël, éditions Modus vivendi, 317 pages, 34,95$.