Pour la majorité des Québécois, le  2 février, c'est avant tout le jour où la marmotte sort de son trou pour prédire si l'hiver sera encore long. Or, pour les gastronomes, cette date est l'occasion idéale pour s'offrir le plaisir de manger des crêpes. Et que l'on soit intolérant au lactose ou au gluten, végétalien ou carnivore, il n'y a pas de raison de s'en passer. Voici comment.

Les Bretons aiment à dire qu'il y a autant de recettes de crêpes que de clochers dans la région. Mais il n'y a qu'un seul jour où il faut absolument en déguster. Le 2 février, jour de la Chandeleur.

La Chandequoi? La Chandeleur. Les chrétiens expliquent que c'est la commémoration de la présentation de Jésus au temple de Jérusalem, d'autres avancent qu'il s'agit d'une fête celte de la fertilité... Mais si la Chandeleur est aujourd'hui l'une des traditions les plus agréables à perpétuer, c'est parce qu'il s'agit essentiellement d'une belle occasion de manger des crêpes en famille pour se porter bonheur.

La coutume, donc, veut que l'on fasse sauter des crêpes avec adresse en tenant une pièce de monnaie dans la main opposée et en faisant un voeu. Si l'exercice est réussi, le souhait sera exaucé. Cela dit, la première crêpe ne devrait pas être mangée, mais plutôt utilisée pour emmailloter une pièce d'or et conservée sur l'armoire de la pièce la plus ancienne de la maison jusqu'à l'année suivante. La pièce sera alors offerte à quelqu'un dans le besoin pour s'assurer d'une année heureuse.

«Mais bon... on peut peut-être sauter un pan de la tradition et éviter de garder la crêpe un an!», dit à la blague le chef de la Crêperie du marché Jean-Talon, Jérôme Arlabosse. L'homme en connaît un rayon sur le sujet même s'il n'est pas né en Bretagne. En cherchant bien, on lui trouverait même sans doute quelques chromosomes en forme de crêpe dans le sang.

Il a grandi en attendant avec impatience les sorties familiales du dimanche à la crêperie du coin, a payé ses études en travaillant dans l'une des crêperies les plus célèbres de Paris  chez Josselin  et, quand il a emménagé au Québec, il a acheté sans le savoir la maison qui aurait abrité la première crêperie de la province, à Sainte-Adèle.

«Quand j'ai vu que j'avais parcouru 6000 km pour retomber dans l'univers des crêpes, j'ai compris que c'était ma voie», dit ce Français de l'Aveyron. Comble de l'ironie, c'est aussi ici qu'il a rencontré sa conjointe... une «vraie» Bretonne!

Depuis quelques années, il suffit de suivre les effluves délicieusement sucrés pour retrouver son stand du marché Jean-Talon  et depuis l'été dernier du marché Atwater , où il fait voler les disques dorés du matin au soir. Parce qu'elles volent bien, ses crêpes, si fines et légères. Comme un mouchoir de dentelle.

«Plus les crêpes sont minces, plus elles sont savoureuses. Les saveurs se déploient mieux», dit-il. Même si, à la demande expresse de quelques habitués aux cheveux gris, il cuit chaque semaine de petites galettes très épaisses, servies avec un trait de mélasse.

Sans oeuf, sans blé, sans lait

Ce grand gaillard à l'allure sportive veut maintenant convaincre les clients qui ne tolèrent pas le lait, le gluten ou les oeufs, ainsi que les végétariens, qu'ils n'ont pas à se priver de ses petites galettes.

Il vante les vertus de ses crêpes faites entièrement d'une farine de sarrasin, moulue expressément pour lui à Saint-Roch-de-l'Achigan par le Moulin Bleu, et qu'il refuse de couper avec du blé pour limiter les coûts comme d'autres le font. «Le sarrasin ne contient pas de gluten parce que s'agit d'une fleur et non d'une graine», rappelle-t-il. Il est riche en fibres et en protéines. «C'est hyper santé!» Le crêpier l'utilise aussi bien pour les pâtes salées que pour les sucrées, dans lesquelles il remplace le lait par de l'eau ou du cidre, et va parfois jusqu'à éclipser l'oeuf dans son nouveau menu.

Pour la garniture, le mot d'ordre est de n'utiliser que des produits de saison, les plus naturels possible. Vous ne trouverez pas de crêpes aux fraises chez lui en hiver, et le fromage est québécois. Que fait le Nutella sur le comptoir? Jérôme Arlabosse laisse à contrecoeur ce qu'il a banni chez lui, parce que les clients le lui réclament. Mais lui préfère le caramel au beurre salé, fait maison, et sans huile de palme...

Les restes

Pour un repas de crêpes complet, Jérôme Arlabosse calcule deux crêpes salées par personne et une sucrée. Que faire des restes? On peut recuire les crêpes à la poêle jusqu'à ce qu'elles soient très croustillantes, les couper en triangles pour en faire des craquelins à tremper dans une bonne salsa à l'apéro. Ou en faire un «gâteau de crêpes» en empilant une dizaine de disques enduits de confiture, de chocolat ou de miel que l'on servira en petites parts accompagnées de crème fouettée ou glacée. Plus simplement, Jérôme Arlabosse les glisse dans les boîtes à lunch de ses enfants, tartinées de confiture puis roulées et enveloppées de film alimentaire pour remplacer la traditionnelle barre tendre. «Ça fait toujours des jaloux dans la cour de récréation!», dit-il. Mais ça, c'est seulement quand il y a des restes. «Et il n'y en a jamais...»

Les enfants font le saut

La Chandeleur sera exceptionnellement célébrée le 4 février au marché Jean-Talon. Jérôme Arlabosse invite les enfants à venir y faire sauter des crêpes gratuitement, de 11h à 15h. Une pirouette réussie serait gage d'un voeu exaucé. Chose (plus) certaine: si le disque retombe dans la poêle, ils pourront le savourer.