Du lait, certes. Mais de la gélatine? Du sucre? De l'aspartame? Des substances laitières modifiées? Que cache vraiment le petit pot de yogourt acheté à l'épicerie? Il y de quoi s'y perdre dans le rayon des produits laitiers alors qu'il ne se passe pas une semaine, ou presque, sans qu'un petit nouveau s'y taille une place. En quête d'une alimentation la plus naturelle possible, l'option d'en faire à la maison  sans yaourtière!  est franchement séduisante. Leçon avec une professionnelle qui a le «yaourt dans les veines».

Fisun Ercan n'avait qu'une crainte quand elle a quitté sa terre natale  la Turquie  pour émigrer au Canada, il y a une dizaine d'années. Elle n'était pas inquiète à l'idée de se faire des amies, d'avoir froid l'hiver ou de trouver du travail. Non. Une seule question l'obsédait: trouverait-elle du yogourt à l'épicerie?

«Si je n'avais pas pu en acheter à mon arrivée, je n'aurais pas pu en faire à la maison ensuite. Et vivre sans yogourt, c'est impensable pour moi!», dit la jolie chef du restaurant SU, à Montréal.

Il faut dire que Fisun Ercan puise ses origines dans le même pays que le mot yogourt, autour duquel tout un mode de vie s'est forgé. C'est l'équivalent de la baguette des Français, du riz des Chinois, l'élément essentiel à poser sur la table avec le sel, le poivre, l'eau et les couverts, matin, midi et soir, les jours de festin comme de vache maigre. Filtré, assaisonné d'huile d'olive, d'herbes fraîches et d'ail, il accompagne les viandes grillées ou garnit les sandwichs. Sucré, il rafraîchit les desserts. «Je mange sans doute du yogourt depuis le jour de ma naissance, dit Fisun Ercan, et aujourd'hui, il en coule plus dans mes veines que de sang. J'en mange pour me calmer, quand je suis fatiguée ou stressée, quand je suis heureuse. J'en mange tout le temps.»

Fisun Ercan a grandi sur les côtes de la mer Égée en aidant sa mère à préparer deux ou trois fois par semaine son yogourt à la maison pour qu'il n'en manque jamais dans leurs assiettes. Le lait était chauffé le soir et mis à fermenter toute la nuit dans un plat en terre cuite enveloppé d'un grand linge. La petite Fisun aimait plus que tout quand sa mère lui permettait le lendemain d'en manger la première couche, la plus crémeuse, avec une petite cuillère. Plus tard, étudiante, au lieu de prendre un café au troquet du coin, elle allait faire la pause avec ses amis dans l'une de ces «maisons de yogourt» artisanal où l'on ne sert que des laitages version nature, au miel ou au sucre vanillé.

Du yogourt vraiment nature

Les années ont passé, mais Fisun Ercan ne s'est jamais lassée du yogourt et continue d'en faire pour sa consommation personnelle (les volumes requis à son restaurant sont devenus trop importants et la chef achète maintenant un yogourt nature biologique pour ses recettes), car même si la variété offerte dans les épiceries québécoises a de quoi donner le tournis, aucun pot ne la satisfait pleinement.

Trop d'additifs, trop de sucre, trop de gélatine, la liste des ingrédients est toujours trop longue à son goût. «On nous vend des yogourts sans gras qui ont une texture assez ferme: qu'est-ce qu'on met là-dedans? Ce n'est pas naturel, alors que si on fait notre yogourt, on saura toujours exactement ce qu'il contient.»

D'autant plus que, martèle-t-elle, c'est «tellement facile à faire» et que contrairement à l'idée reçue, on peut même se passer de yaourtière. Il suffit de porter à ébullition le lait, puis d'y ajouter les bactéries au bon moment (une cuillère de yogourt suffira), et de laisser reposer quelques heures à température de la pièce avant de mettre au frais. Après, c'est une autre histoire. Un monde de saveurs s'ouvre devant soi en ajoutant une touche de blanc dans son assiette.

Que faire du yogourt raté?

Rater son yogourt? Oui, ça arrive, et même après 30 ans de pratique. Mais ce n'est pas si grave, note Fisun Ercan qui en profite pour faire du «lor», un fromage frais turc. Pour ce faire, il suffit d'ajouter une cuillère à café de sel au mélange hétérogène et de le reporter à ébullition pour précipiter le caillage et la séparation du petit lait et des grumeaux. Retirer la casserole du feu, laisser refroidir et filtrer à l'aide d'une étamine. Le fromage ainsi récupéré se conserve au réfrigérateur trois à quatre jours et s'utilise comme la ricotta, en version sucrée  avec du miel - ou salée - avec sel et poivre, huile d'olive et herbes fraîches.