L'ouvrage compte 2438 pages, réparties sur six volumes, pèse 25 kg et coûte environ 600$. Vous devinerez qu'un tel corpus ne s'est pas fait en un jour. Son concepteur, le milliardaire Nathan Myhrvold, avait comme projet de produire un livre sur la cuisine sous vide. Mais au fil de ses recherches, l'ancien numéro deux de Microsoft s'est laissé emporter par sa double passion pour la science et pour la gastronomie. Au lieu de se boucler en deux mois, le projet a pris quatre ans. Et coûté 2,5 millions.

Pour bien mener leurs recherches, M.Myrhrvold et ses coauteurs, les chefs Chris Young (ex-second de Heston Blumenthal, du Fat Duck) et Maxime Bilet (chef et littéraire) ont fait construire une cuisine-laboratoire de 5000 pi2. Pas moins de 32 chercheurs, techniciens, cuisiniers, rédacteurs, photographes et graphistes ont été recrutés pour réaliser les expériences les plus folles.

«La cuisine et la gastronomie se sont bâties selon le principe d'essai et erreur, raconte Pasquale Vari, professeur à l'ITHQ, juge à l'émission Les chefs et porte-parole québécois du livre. Les premiers peuples ont pris une pièce de gibier et l'ont fait bouillir, puis griller, puis braiser. Pour réaliser Modernist Cuisine, les auteurs ont fait la même chose, mais avec de l'équipement à la fine pointe. Ils ont tout testé et retesté.»

Patrice Demers, chef pâtissier du restaurant Les 400 coups, avait entendu parler du projet Modernist Cuisine au congrès Star Chefs, à New York, il y a deux ans. L'ouvrage était en pleine conception. «Je me souviens de Nathan Myhrvold, qui était arrivé sur scène avec sa barbe, ses runnings, ses kakis trop grands et sa veste de chef. On voyait qu'il connaissait son sujet.»

Depuis qu'il a pris possession de sa nouvelle bible, Patrice Demers a fait quelques tests bien concluants, surtout avec les gélifiants. Il désespérait de réussir un sorbet au pamplemousse à la texture crémeuse et non granuleuse. Il a trouvé la solution dans le tome 4: en stabilisant son pamplemousse avec de la pectine, il obtient une belle glace onctueuse. «C'est un ouvrage qui vulgarise bien la science alimentaire et c'est aujourd'hui le meilleur des outils pédagogiques, affirme Pasquale Vari. Je le mets déjà en application dans mes cours.»

Eloi Dion, chef du restaurant Van Horne, a en effet l'impression de se retrouver sur les bancs d'école lorsqu'il tourne les pages de ce nouvel ouvrage de référence.

«C'est une compilation de TOUT! Il y a des tableaux très complets et j'aime que les recettes soient également proposées en proportions, ce qui permet une plus grande précision. On donne par exemple le meilleur pourcentage de légumes par rapport à la viande pour faire un fond de veau», raconte-t-il.

Selon plusieurs, l'aspect le plus intéressant de cette «encyclopédie» est qu'on passe du «comment?» au «pourquoi?», ce qui donne au chef la liberté d'être totalement créatif dans ses chaudrons.

Patrice Demers a quand même relevé quelques points négatifs, au fil de ses consultations. «L'index est mal foutu. C'est difficile de faire des recherches dans le livre. Il y a aussi eu plusieurs erreurs dans les premières éditions. Heureusement, les correctifs se trouvent sur l'internet et on peut les imprimer.»

Il reste que tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la cuisine semble s'y trouver, ou presque, jusqu'à comment faire des motifs sur son café au lait!