Les boulangers multiplient les variétés de pains pour satisfaire leur clientèle, mais la baguette demeure le pain quotidien préféré des Parisiens, qui vouent une passion à ce symbole de la gastronomie française, couronné par un prix annuel décerné cette semaine.

Le lauréat 2010, élu lundi, est Djibril Bodian, 33 ans, d'origine sénégalaise, boulanger au «Grenier à Pain» au coeur de Montmartre, pas loin du café où officiait Amélie Poulain (XVIIIème arrondissement).

«La baguette est aujourd'hui l'un des pains préférés des Français et surtout celui des Parisiens, qui consomment 60% de la production, contre 20% dans la reste de la France», explique à l'AFP le président de la chambre professionnelle des artisans boulangers-pâtissiers, Jacques Mabille.

Sa naissance dans la capitale remonte aux années vingt. «L'État français a permis aux boulangers parisiens de créer, aux côtés du pain taxé par l'État, un +pain de fantaisie+, plus léger, auquels ils étaient libres de donner le prix qu'ils voulaient», explique l'historien de l'alimentation Steven Kaplan, éminent spécialiste du pain.

Grâce à l'arrivée du sandwich dans l'alimentation française, la baguette trouve une nouvelle vocation, mais est très vite concurrencée par la production industrielle.

«Le décret pain du 13 septembre 1993 qui définit ce qu'est le «Pain de tradition française» -- mélange de farine de blé, d'eau potable, de sel de cuisine, de levure ou de levain -- a heureusement sauvegardé la boulangerie artisanale et la baguette», souligne M. Kaplan.

Il avoue emporter avec lui sa baguette à chaque fois qu'il se rend dans un restaurant, «souvent déçu de ne pas trouver le pain à la hauteur».

«Une bonne baguette doit avoir un bel aspect visuel, être bien droite et craquante dans la main, avec un bel alvéolage -- grands trous bien réguliers --, une mie couleur crème et une bonne odeur de froment», précise Jacques Mabille.

«Quant au goût, il doit être doux, parfumé et rester en bouche. Lorsqu'on en a mangé un petit morceau, on doit avoir envie d'en remanger».

Preuve de l'engouement, la ville de Paris organise depuis 1994 un concours destiné à élire la meilleure baguette de la capitale. Les membres du jury - gastronomes et habitants tirés au sort - témoignent du lien puissant unissant le pain et les Français.

«La baguette est une approche simplifiée de la culture française», estime Yang Zhou, un membre du jury d'origine chinoise. «Depuis mon arrivée en France en 2002, j'achète tous les jours ma baguette, c'est un peu comme si j'étais un bon Français», s'amuse-t-il.

Pour le Britannique Stephen Clarke, auteur notamment de «God save la France», il y a une «relation charnelle entre les Français et le pain, qui n'existe pas ailleurs». «En Angleterre, l'alimentation est aseptisée, alors qu'on France tout le monde touche le pain avec les mains», explique-t-il.

Le maître 2010 du pain Djibril Bodian salue la formation qu'il a reçue, «les méthodes qu'on m'a enseignées». Né au Sénégal, ce jeune artisan a grandi en Seine-Saint-Denis et s'est formé au Centre de formation par apprentissage de Pantin il y a douze ans. Son prix: 4000 euros et - cerise sur le pain - il fournira l'Elysée pendant un an.

Son couronnement est «un signe positif envoyé à la France qui refuse d'assumer ses communautés», estime l'Américain Kaplan. «Les meuniers estiment que les boulangers sont 30 à 40% d'origine africaine ou maghrebine, il faut le savoir!»