Barak Obama. maintenant bien en selle pour son premier voyage à l'étranger, a choisi une petite randonnée chez son voisin nordique, le Canada. À la lecture d'un inspirant ouvrage, Grands Palais, 2500 ans de passion du vin (édition Les Idées Claires), qui relate les grands festins de ceux qui ont façonné et dirigé le monde, depuis Toutankhamon à Mitterrand, en passant par John F. Kennedy, je me suis demandé ce que l'équipe du protocole du gouvernement canadien devrait servir le 19 février lors du premier repas présidentiel au nouveau président américain.

Il est notoire que, sous la présidence John F. Kennedy, les fastueux repas de la Maison-Blanche, influencés par la grande cuisine française de l'époque, grâce à sa femme, Jacqueline Bouvier, étaient arrosés de grands crus français, dont les Pétrus, Margaux et Latour. Autres temps, autres moeurs me direz-vous? Probablement. Surtout dans la conjoncture économique dans laquelle l'Amérique s'est enlisée.

 

Mais qu'en est-il à notre parlement d'Ottawa? Si j'étais consultant pour la création des menus des réceptions officielles du 24, promenade Sussex, comme je le suis depuis décembre pour le restaurant espagnol elBulli, je passerais directement à table, car l'apéritif n'est pas souvent de mise dans ce genre de dîner protocolaire, le temps constituant une denrée rare et précieuse dans l'arène politique.

Je débuterais donc en entrée, question d'offrir à notre historique invité une bonne dose de gras animal pour affronter la froidure de l'hiver canadien - tout comme pour tenter de lui faire changer la réglementation américaine, entérinée à Chicago, interdisant la vente de foie gras de canard... -, avec un foie gras de canard de la ferme Aux Champs d'Élysé, poêlé aux pommes épicées et déglacé au cidre de glace québécois.

Afin d'unir avec précision les saveurs de pomme et cannelle du foie gras, tout comme sa texture enveloppante, je servirais, pour briser la glace, le summum en matière de cidre de glace, j'ai nommé le Frimas 2007 Cidre de glace, La Face Cachée de la Pomme, Hemmingford, Canada (48,75$; 742 627). Cette cuvée prestige possède un nez éclatant, mais tout aussi racé et élégant, façon Obama (!), s'exprimant par des notes de pomme caramélisée, de marmelade d'oranges amères, d'hydromel, de cannelle et de muscade, tout en démontrant une liqueur imposante, vitalisée par une acidité électrisante. Fraîcheur qui allégera en bouche l'omniprésence du gras de canard.

Suivrait le traditionnel saumon fumé du Pacifique, de manière à avoir un menu « coast to coast, « en version filet assez épais et mi-fumé, servi sur un nid de salade de bulbe de fenouil, qui serait en accord avec les notes anisées de fenouil et d'herbes fraîches de la nouvellement disponible cuvée Échos Tawse Bistro White 2006 Niagara Peninsula VQA, Tawse Winery, Canada (33,25$; 11 039 736), provenant de l'étoile montante des domaines du Niagara.

Puis, on connaît la chose, les Américains sont de gros consommateurs de boeuf. Tout comme une bonne partie des Canadiens, spécialement ceux de l'Alberta, où l'on élève l'une des meilleures races bovines au monde. Donc, il serait impératif de nourrir l'esprit carnivore du nouveau président américain avec un beau filet de boeuf Angus, escorté d'une poêlée de champignons matsutake récoltés dans les forêts de Colombie-Britannique.

Cette viande finement persillée, aux arômes et aux saveurs complexifiés par l'alimentation saine des pâturages où sont élevés les boeufs joue dans la sphère des herbes et épices (terpènes) et des fleurs (scatole). Une fois vieillie à point puis cuite avec précision, elle développe des notes de rôti, de grillé et de fumée, à la manière des vins élevés en barrique de chêne. Sans oublier que durant sa maturation, et sa cuisson, cette viande acquiert une importante quantité d'acides aminés, résultant en une grande présence de volume, de texture et de saveurs en bouche (umami).

Il lui faut donc un vin rouge ayant à la fois du volume, des saveurs intenses, des notes florales et épicées, et des tonalités boisées s'accrochant aux touches rôties, grillées et fumées apportées par la cuisson. Ce à quoi répond avec brio un pinot noir de grande stature, comme ceux élaborés avec maestria au Clos Jordanne, situé dans le coeur du « bench « de la magnifique péninsule du Niagara. Ce qui est le cas du dense, complexe et richissime Pinot Noir Le Grand Clos 2005 Niagara Peninsula VQA, Le Clos Jordanne, Canada (61$; 10 710 209).

Cette visite étant prévue en plein coeur de l'hiver, je ferais suivre l'Angus d'un filet d'agneau de Charlevoix, premier produit nord-américain à être officiellement reconnu et protégé en fonction de son terroir et de ses méthodes d'élaboration. Cette viande d'un goût unique, juteuse et tendre au possible, est marquée, entre autres, par des notes de thymol, molécule du thym, provenant de son alimentation singulière.

Servi dans son jus de cuisson naturel, et accompagné d'une purée de légumes-racines d'hiver, comme le topinambour, ainsi que de quelques étoiles d'anis - symbole états-unien oblige -, tous des ingrédients marqués par des notes réglissées, pour être mis en valeur, ce plat requiert un vin certes canadien, mais avec un léger accent du Midi, pour s'unir aux saveurs jouant dans l'univers du thym et de l'anis. Ce à quoi répond avec panache et expressivité la pulpeuse, tendre et épicée à souhait Shiraz Mission Hill Reserve 2006 Okanagan Valley, Canada.

À l'heure du fromage, pour permettre à Obama de demeurer en communion avec son patron d'en haut - et l'obliger à annuler la future et revancharde hausse de taxes sur le Roquefort français -, on devrait lui servir un fromage bleu comme le Bénédictin de l'abbaye de Saint-Benoît-du-Lac. Puis, comme le temps file, pour ne pas éterniser le repas, et que les chauds dossiers du bois d'oeuvre canadien et de l'économie mondiale les attendent, pour brider l'ascendant de la saveur saline fromagère, j'accompagnerais ce service «fromage-dessert» d'une cuillerée de miel de sarrasin bio et d'un puissant vin de glace canadien à base de vidal.

Mais, récession oblige, le premier ministre du Canada devrait montrer l'exemple en faisant découvrir à notre président de voisin le petit frère du vin de glace, le special select late harvest, offert à moins de 50% du prix du grand frère glacé, mais souvent presque aussi bon que ce dernier. Ce qui est le cas du Vidal Special Select Late Harvest Konzelmann 2006 Ontario VQA, Canada (19,85$; 409 474), aux saveurs pures et exaltantes de miel, de mangue et de litchi, et au corps à la fois plein et rafraîchissant, perdurant longuement en fin de bouche, juste assez pour garder éveillés les neurones et les papilles de l'équipe Obama durant les tractations politiques qui suivront ce premier repas présidentiel pris à l'étranger.

François Chartier est l'auteur du nouveau guide des vins et d'harmonies avec les mets La sélection Chartier 2009, aux Éditions La Presse. On peut lui envoyer des questions sur le blogue internet www.francoischartier.ca ou par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal H2Y 1K9.