La viande rouge, à l'exemple du boeuf, est plus richement pourvue en saveurs que la viande blanche. Mais pourquoi au juste? Et y a-t-il des différences de goût entre les différents types de cuisson? Quels sont les ingrédients complémentaires? Voilà des questions auxquelles l'étude de la structure physique de la chair bovine, comme celle que je fais en harmonies et sommellerie moléculaires, apporte quelques réponses utiles dans le choix de sa cuisson, des ingrédients complémentaires et des vins pour l'accompagner avec justesse et précision.

Bien que nous mangions du boeuf depuis l'âge de Cro-Magnon, nous n'avons pas pour autant encore assimilé tous ses secrets gustatifs! Il faut savoir avant tout que le boeuf - comme les parties brunes des viandes dites blanches (poulet et dindon) - contient généralement une plus grande part de matériel générateur de saveurs à la cuisson que les autres types de viandes plus pâles.

 

C'est simple, la cuisson donne de la saveur! En fait, la réaction de brunissement (ou réaction de Maillard), par la chaleur élevée de la cuisson, spécialement pour les viandes grillées, rôties et braisées, transforme les molécules aromatiques de la viande crue en de nouvelles molécules plus complexes.

Les esters, les cétones et les aldéhydes, naturellement présents dans le boeuf, se traduisent par leurs arômes de fruits, de fleurs, de noix et de végétaux, se lient aux molécules de cuisson qui, elles, jouent dans l'univers du rôti, du grillé et de la fumée (de la famille des pyrazines de cuisson) - à la manière des arômes apportés dans les vins pendant l'élevage en barriques de chêne, préalablement brûlées à l'intérieur -, ainsi que de l'épicé et même de l'oignon cuit. Ce qui explique l'union belle et précise entre le boeuf grillé et certains vins rouges élevés en barriques.

Types de cuisson et vins

Il faut savoir que le type de cuisson influence grandement les arômes et la structure de la viande qui en résultera, tout comme la perception des vins avec lesquels elle sera servie. C'est en mode grillé et rôti que le boeuf développe le plus de composés aromatiques. S'ajoutent, entre autres, aux saveurs déjà présentes dans la viande, des tonalités de rôti, de grillé, de fumée, d'épices et d'oignon cuit.

Il faut donc un vin rouge au profil aromatique semblable, pouvant être passablement corsé et idéalement élevé en barriques de chêne. Ici, la palette de choix est très large. Privilégiez, pour les viandes grillées et rôties, les vins à base de cabernet sauvignon, de syrah, de malbec, de tempranillo, de nebbiolo et de sangiovese - en sélectionnant les plus soutenus et tanniques. Un puissant thé noir wulong, au goût fumé et torréfié, serait une excellente option au vin.

Le cas de la viande bouillie est intéressant. Premièrement, il y a un changement majeur sur le plan de la structure physique de la viande. À l'exemple du classique et très français pot-au-feu, la viande rouge de boeuf devient, une fois bouillie dans l'eau de cuisson, plus blanche et, surtout, plus filandreuse, voyant ses fibres rouges de protéines s'agglutiner, perdant leur caractère «juteux».

Ainsi, structurellement, la viande bouillie n'a plus la capacité d'assouplir les tannins des vins rouges. Il faut donc impérativement lui servir soit un vin rouge gouleyant aux tannins très souples, soit un blanc passablement généreux à l'acidité modérée. De plus, en fonction de l'eau de cuisson et des ingrédients qui la parfument, la viande bouillie prend le goût de son jus de cuisson. Elle devient habituellement très parfumée. Donc, le vin choisi devra aussi être très aromatique.

Généralement, le boeuf braisé, contrairement au boeuf bouilli, aura été légèrement caramélisé avant le braisage, ce qui lui procure des notes aromatiques comme au boeuf grillé et rôti. De plus, sa longue et lente cuisson au four ou à couvert, dans un jus de cuisson aromatisé, lui offre une structure à mi-chemin entre celle juteuse de la viande grillée ou rôtie et celle plus filandreuse de la viande bouillie. Disons une texture pleine et presque juteuse, avec une sensation de gras et de plénitude, même si la viande peut quelquefois sembler un brin filandreuse.

Ce sont les viandes pour les vins rouges à la fois puissamment aromatiques, enveloppants, généreux et presque capiteux, à l'épais velouté de texture. Ce à quoi répondent de multiples crus du Nouveau Monde, tout particulièrement les assemblages GSM (grenache, syrah, mourvèdre), ainsi que de cabernet-shiraz, tout comme ceux des régions baignées de soleil et de chaleur du bassin méditerranéen, sans oublier les décapants amaroni de Vénétie.

Aliments complémentaires

Il est rare en cuisine de dénicher des compositions culinaires qui marient le boeuf au caviar, aux algues, aux anchois ou à la fleur d'oranger. Pourtant, tous ces ingrédients jouent dans la même sphère moléculaire que celle du boeuf, partageant avec elle de multiples principes actifs.

Parmi les autres ingrédients à mettre sur la liste d'aliments complémentaires au boeuf et aux vins prescrits pour l'harmonie, il faut compter sur ceux marqués par les pyrazines de cuisson. Ce sont les asperges rôties à l'huile d'olive, le riz sauvage, la noix de coco grillée, les champignons sautés, le cacao, le chocolat noir, le café, le malt, la bière brune et noire, le scotch et les noix grillées.

Enfin, il faut aussi privilégier les aliments riches en acides aminés, donc marqués par le goût «umami», qui est la cinquième saveur. Ce sont avant tout les algues japonaises kombu et nori, certains fromages matures (parmigiano reggiano, emmental et cheddar), les jambons séchés (prosciutto, jambon ibérique, de Bayonne), le thon, la tomate de longue cuisson, les pétoncles et les champignons (shiitake, enoki et matsutake).

Suivent de près, avec des taux d'umami juste un brin inférieurs, le ketchup, la sauce soya, le caviar, le miso, les saucissons (comme le chorizo), les anchois, les fromages roquefort et gruyère (âgé), les oignons, les épinards cuits, la bière brune et noire et le scotch single malt.