Étant en plein coeur de la saison de la récolte des asperges du Québec, qui s'étale du début mai à la fin juin, le moment est on ne peut mieux choisi pour réhabiliter l'harmonie entre les vins et ces dernières. Car, dans de nombreux manuels d'harmonie vins et mets, l'asperge fait encore trop souvent figure de résistance, entrant malheureusement dans la liste des aliments ennemis du vin... Voyage au coeur de ce savoureux légume printanier, qui sait trouver le «la» du diapason, tant en rouge qu'en blanc.

En jetant un regard dans le rétroviseur, j'ai compris pourquoi on avait relégué ce végétal au second plan harmonique. La cause tient pour beaucoup à la façon de servir les asperges, spécialement en guise d'entrée, où elles sont presque toujours accompagnées d'une vinaigrette ou d'une ancestrale sauce hollandaise à base de jaune d'oeuf... Difficile de trouver un point d'orgue avec de tels accompagnements, qui durcissent la grande majorité des vins.

 

Le choix de vin le plus souvent évoqué pour l'asperge a tout de même réussi à s'approcher du Saint Graal harmonique, sans toutefois réussir à le toucher. Car, comme le choix avait été fait sans tenir compte des multiples saveurs qui composent son goût - plus particulièrement de ses molécules aromatiques sapides -, la symbiose vin et asperge avait été basée jusqu'ici «uniquement» sur la légère amertume de ce légume.

Ce qui résulte ainsi en un accord plutôt «unidimensionnel», en blanc, avec les vins secs alsaciens à base de muscat, eux aussi dotés d'une certaine amertume en fin de bouche. Mais grâce à l'étude des composés volatils qui structurent la saveur plurielle de l'asperge, j'ai pu partir sur la piste d'harmonies plus justes et plus précises, et ainsi démontrer qu'elle est loin d'être persona non grata avec les vins. Pour vous donner de judicieux choix de vins, plongeons au coeur de sa structure.

Les composés volatils dominants de l'asperge font partie de la famille des pyrazines. Plus particulièrement les méthoxypyrazines, présentes dans l'asperge crue, comme dans de multiples autres végétaux et fruits, dont le raisin - les pyrazines sont des substances aromatiques très actives, dont plus de 50 versions ont été trouvées jusqu'à présent dans les produits alimentaires.

Elles s'expriment par des notes puissantes de verdure (herbe fraîche, poivron vert, pois vert, asperge, pomme de terre, betterave, bourgeon de cassis...). Elles sont aussi responsables du côté poivron vert de nombreux cabernets francs de la Loire, tout comme chez les bordeaux et certains malbecs. Elles signent aussi le profil «végétal» des blancs de sauvignon blanc et de verdejo. Enfin, les pyrazines ont un seuil de détection très bas; même à l'état de trace dans les raisins, elles peuvent avoir un impact significatif sur l'arôme du vin, et donc sur la saveur du vin.

Ce qui nous conduit à table, premièrement avec un vin blanc sec, non boisé, à base de sauvignon blanc ou de verdejo. Faites l'essai incroyablement juste et prenant entre des asperges vertes du Québec cuites à la vapeur - tout simplement arrosées d'une huile d'olive espagnole dont les saveurs jouent dans la sphère «verte» du gazon fraîchement coupé et du cerfeuil - et le coup de coeur de l'heure chez les sauvignons blancs à prix doux, j'ai nommé le très aromatique, anisé et vivace Les Fumées Blanches 2008 Vin de Pays du Comté Tolosan, François Lurton, France (13,60$; 643700). Difficile de trouver un accord «vin blanc/asperge» qui résonne avec autant de précision.

Le four ou le grill

Deuxièmement, pour ce qui est de l'accord en rouge, question de renforcer l'union, il faut complexifier les saveurs des asperges en les passant par le four ou par le grill. Car, contrairement aux vins blancs, il faut aussi prendre en compte les tannins des vins rouges. Pour ce faire, il faut choisir un rouge ayant séjourné en barriques de chêne.

C'est que le chêne des barriques subit une chauffe, par le feu, avant son utilisation. L'action de la flamme sur le chêne apporte de nombreux nouveaux composés aromatiques sapides qui, une fois en contact avec le vin, sont transférés dans ce dernier. Une partie de ces composés font partie de la famille des pyrazines. Ce sont cette fois les diméthylpyrazines, au profil grillé/rôti, rappelant entre autres le cacao et le café. Les mêmes composés qui apparaissent dans les asperges, une fois qu'elles ont passé par le four ou le grill...

Il faut ajouter que les asperges sont riches en lignines boisées (les lignines sont des composés structuraux qu'on trouve aussi dans le bois de chêne et dans la partie en bois de la grappe de raisin). Sans compter que les asperges rôties développent un autre composé aromatique, du nom d'eugénol, qui est l'arôme du clou de girofle et l'un des principaux composés que le chêne des barriques transfère aux vins qui y séjournent. Ceci explique cela!

Donc, la prochainement fois que vous cuisinerez des viandes rouges sur le grill, accompagnez ces viandes d'asperges, soit grillées, soit rôties au four, simplement arrosées d'huile d'olive pendant leur cuisson. Puis, servez un rouge élevé en barriques, à base de cabernet ou de malbec. Mon idéal, à ce jeu, est un malbec argentin. Les tannins étant ici plus «chauds», donc plus doux. Amusez-vous, il en existe une très large palette sur notre marché, dont certains à prix plus que doux.

La dernière rencontre en date, il y a quelques jours, a été réalisée avec le Malbec Weinert 1997 Lujan de Cuyo, Weinert, Argentine - provenant de ma cave privée et payé 19,50$ il y a déjà quelques années. Ce cru, vieilli trois ans en foudres de chêne, a prouvé hors de tout doute, pour une énième fois, le vibrant accord «vin rouge/asperge», tout en démontrant le potentiel de vieillissement de certains malbecs argentins, plus particulièrement ceux de cette grande maison, encore trop méconnue.

Quelle fraîcheur et quelle jeunesse que ce malbec datant de 1997! Sans compter qu'il a épousé les asperges à l'huile d'olive et rôties au four (une quinzaine de minutes sur une plaque) avec maestria. Comme l'ont fait à tout coup tous les jeunes et moins jeunes malbecs argentins que j'ai testés à ce jour.

François Chartier est l'auteur du nouveau livre Papilles et Molécules - La science aromatique des aliments et des vins, aux Éditions La Presse. On peut lui envoyer des questions sur le blogue internet www.francoischartier.ca ou par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal H2Y 1K9.