Suvir Saran cuisine aussi bien qu'il cause. Ce qui est plutôt rare chez les chefs. Né à New Delhi, il est devenu le premier lauréat d'une étoile Michelin en cuisine indienne, pour Dévi, son restaurant de la 18e Rue dans le quartier branché de Chelsea à New York.

Nous l'avons rencontré lors de son passage récent à la librairie Bon Appétit à Westmount, où il a dédicacé des exemplaires de son livre et donné une démonstration du genre de cuisine pour lequel il est devenu célèbre dans le monde anglophone: savoir rôtir des épices, faire des samosas avec des ingrédients de qualité et à partir des farines de base, mélanger les plats indiens et mexicains, trouver dans les classiques américains des résonances en cuisine orientale.

Artiste-graphiste et cuisinier amateur à l'origine, l'homme est d'une étonnante truculence. Il s'esclaffe en parlant de la politique américaine, de la société de consommation - «Des sociétés incapables de se compromettre sinon pour de l'argent» -, des guerres ou des droits de l'homme. Des sujets généralement évités par les cuisiniers, qui préfèrent parler de marchés et de sauces courtes.

Tout cela fait partie de son discours, pimenté si j'ose dire, d'anecdotes savoureuses sur son enfance, ses amis américains, son premier contact avec la restauration rapide dans les rues de la métropole.

Les francophones qui voudraient s'initier à la cuisine indienne ménagère ou mieux, à la version de cuisine globale qu'il présente dans son deuxième livre qui vient de paraître, American Masala, trouveront chez lui l'un des meilleurs exécutants du genre.

Suvir Saran a grandi dans une famille de la classe moyenne supérieur, puis s'est exilé aux États-Unis au début de la vingtaine pour échapper à l'étouffante prison familiale et sociale (et peut-être aussi pour échapper au mariage «traditionnel»). Et aussi «parce que j'aimais cuisiner et que j'étais un homme», précise-t-il. En Inde, c'est tout à fait mal vu.

Il s'est donc installé au milieu de la capitale la plus cosmopolite au monde en se jurant de s'intégrer au plus vite. Ce qui n'a pas été facile, dit-il, «car je trouvais les Américains pressés et incapables de rester en place, même à table «. Or, son intégration, alors qu'il étudiait à l'Université de New York, il l'a accomplie en cuisinant pour les autres.

Il raconte que ses colocs ne se rencontraient jamais, sauf lorsqu'il les invitait à manger, ce qu'il a fait de plus en plus, considérant que tout le monde mangeait sur le pouce et que personne ne partageait des moments de convivialité.

«La nourriture fait les liens, et les défait aussi. Il me semblait nécessaire de commencer quelque part surtout dans une société où les habitants semblent isolés, si individualistes», explique-t-il. Une telle manière de vivre n'avait aucun sens pour lui. «Chez moi, on grandit entouré de famille, d'amis, 24 heures sur 24.»

Tout en étudiant, il a commencé chaque soir à cuisinier pour des amis qui ne connaissaient pas vraiment la cuisine indienne. «Ce que je découvrais dans les rues de New York et qu'on appelait cuisine indienne n'était rien d'autre que de la merde. Comme Indien, ça me choquait de penser qu'on servait ce genre de médiocrité et qu'on faisait passer ça pour de la cuisine indienne. Je devais intervenir. C'est ainsi que j'ai fait mes débuts comme traiteur privé. Peu à peu, on a commencé à parler de moi, le jeune Indien qui servait des repas fantastiques.»

En moins de cinq ans, il a acquis une certaine popularité, faisant vivre à ses clients des expériences gastronomiques nouvelles. Une fois qu'ils étaient «high», dit-il, « je pouvais manipuler leur conscience et essayer de les faire changer d'habitude. Je devais leur montrer que la cuisine indienne n'était pas ces currys réchauffés et gras, riches et crémeux, qu'on trouve partout indépendamment de l'origine.» En fait, insiste-t-il, «je n'ai rien inventé. Je ne faisais que poursuivre ce que ma grand-mère avait toujours fait, une cuisine fraîche avec des produits frais.» Il fait ainsi référence à ce que font les Provençaux et les Italiens dans leur coin de pays. Étendre à la cuisine indienne cette philosophie de fraîcheur et de spontanéité a donc été chose facile.

«Pour moi, moins c'est mieux, dit le réputé cuisinier. La simplicité, les petites choses c'est toujours avec ça qu'on fait de la magie en cuisine. Dans le fond, le nouveau mantra des chefs célèbres, c'est justement ça: faire des choses spectaculaires avec presque rien. Mais c'est aussi ce que faisaient les habitants de la campagne indienne depuis des millénaires. Rien de neuf là.»

Il n'y avait qu'un pas à franchir pour ouvrir un restaurant qui emprunterait le même chemin. Dévi est né avec l'aide d'un associé. Version ultrachic du resto indien où tant les plats que leur présentation tiennent davantage du resto branché que du boui-boui. Ce que l'étoile Michelin n'a fait que confirmer. Depuis, Suvir Saran a fait le tour du monde et continue de promouvoir ses deux livres. Le dernier prend appui sur son expérience new-yorkaise où les cuisines du monde entier se mélangent avec bonheur, et cela grâce à l'armoire à épices indienne, qui galvanise la plus banale des préparations.

«Si je devais ajouter mon mantra culinaire à moi, ce serait de cuisiner en prenant son temps. Après tout, je me suis installé dans la plus rapide des cités au monde et j'ai prêché la lenteur. Et les New-Yorkais ont suivi.»

Un secret de chef

Suvir Saran croit que tous les aromates et toutes les épices doivent impérativement être grillés à sec, dans un poêlon antiadhésif avant d'être réduits en poudre, ce qui accroît l'intensité du goût et fait ressortir les nuances. Votre cuisine en sera «transfigurée», promet-il.

Vous pourrez trouver les deux livres de Suvir Saran à : Librairie Bon Appétit : 388, rue Victoria, à Westmount, 514-369-2002 Plus d'informations: www.suvir.com