Crise oblige, les avant-gardistes chefs catalans succombent à la mode du «prêt-à-manger» en ouvrant des formules bistrot plus abordables qui redécouvrent les produits du terroir.

Cette tendance se développe particulièrement à Barcelone (nord-est), après une décennie d'alchimies moléculaires.«L'ambiance est morose», confie à l'AFP Pau Arenos, critique gastronomique du quotidien catalan El Periodico, auteur de la formule «techno-émotionnelle» pour définir la cuisine new-age de Ferran Adria, le mondialement célèbre chef du restaurant El Bulli.

Alors que la crise économique a brutalement fait irruption en Espagne en 2008 après ses «quinze glorieuses», «les clients commandent des vins moins chers et ceux qui se rendaient occasionnellement dans un grand restaurant ont tendance à rester chez eux».

«Les recettes ont fondu de 30 à 40% et les restaurants une étoile (au Guide Michelin) sont obligés de proposer des menus à prix fixe à midi, généralement aux alentours de 35 euros», explique Pau Arenos.

«Les restaurants doivent se battre», confirme Carles Gaig, patron du Gaig (une étoile), qui a ouvert le plus traditionnel Fonda Gaig.

«Il semble que 2009 va être encore plus difficile que 2008. Les particuliers cherchent à dépenser le moins d'argent possible (...) et les grands cuisiniers se voient dans l'obligation de trouver des alternatives», explique-t-il.

«Les chefs doivent faire preuve de plus de créativité et d'imagination pour tirer le meilleur profit des mêmes produits. Nous faisons plus attention aux coûts et à la sélection des produits», ajoute-t-il.

Gaig et plusieurs chefs étoilés ont ouvert de nouveaux restaurants avec une offre plus classique qui saisit moins à vif la carte visa.

Martin Berasategui, Nandu Jubany et Joan Roca, trois étoiles chacun, proposent désormais des formules «prêt-à-manger».

Le principe: s'adapter à la demande actuelle en utilisant au mieux les produits de base plutôt que le haut-de-gamme, type foie gras ou truffe.

A la place du cannelloni aux truffes, qui a fait la renommée du Gaig, les clients veillant à leur budget peuvent commander à la Fonda Gaig des «macaronis de cardenal» - à la sauce au parmesan, avec oignons frits et jambon ibérique - également encensés par la critique.

Ramon Freixa dirige le restaurant El Raco d'en Freixa, où l'on peut toujours se délecter de son cannelloni au lard, avec endive frisée, lait caillé de citrouille et yoghourt de truffe blanche.

Mais on peut désormais par souci d'économie se rendre à son bistrot Avalon, où l'un des plats phares est le plus classique «riz du señorito», sorte de paella aux fruits de mer.

«Nous avons besoin de restaurants avec une base traditionnelle, sans eux nous perdrions nos racines», commente Ramon Freixa.

Et ce retour aux racines n'a pas l'air de faiblir. Fermi Puig, dont le restaurant une étoile Drolma a impressionné les clients pendant des années, a ouvert à son tour le 17 décembre un établissement très classique, le Petit Comité.

Par un curieux inversement de tendance, ces chefs d'avant-garde revisitent la cuisine catalane traditionnelle après avoir rivalisé dans la gastronomie moléculaire, avec ses mousses à l'azote liquide et autres «sphérifications».

«Ils utilisent toujours de nouvelles méthodes comme le sous-vide et de nouveaux produits, mais ce qui arrive dans l'assiette ressemble à ce qui sortait de la cuisine de nos grand-mères», souligne Pau Arenos.

«Il y a un climat de peur et d'excitation à la fois», résume le critique culinaire, pour qui «il est difficile de dire si le modèle de la cuisine gastronomique est mis en danger» par cette adaptation forcée.