Le bistro est une avenue intéressante pour une ville qui craint la crise. Moins d'argent? Solution : des restos moins chers qui proposent des plats rassurants, évitent les écueils de la modernité culinaire (et parfois moléculaire), offrent une carte réduite à son plus petit dénominateur, plus particulièrement une carte des vins qui se tient loin des grands bordeaux et favorise les appellations régionales.

Voici une adresse du genre dont je ne serai certainement pas le seul à vanter les mérites. Franchement bonne et sympathique, elle incarne un peu l'esprit du bistro parisien - les appliques, les fauteuils de style, les tablettes, les miroirs et les cadres, la cheminée, le velours, l'attitude du serveur (et son humour heureusement).

 

En tout cas, un regard à la carte et on plonge 30 ans en arrière. Pour les nostalgiques qui se méfient des écumes et des huiles d'olive solidifiées, c'est bien ; pour les autres, il nous reste à espérer que les intitulés ne font pas que de l'esbroufe pour estivants. Il y aurait de quoi sur cette rue. Or, si la carte est surannée à souhait - cassoulet, mousse de foie, tartare, bavette -, elle montre aussi quelques désopilantes absurdités (pour un resto français): mozzarella di buffala? Aubergines parmigiana? Macaroni? Brownies? On dirait presque une réclame pour compagnie aérienne, direction Rome. Heureusement, il y a comme un décalage avec la formule du soir qui, elle, est drôlement plus inspirante. Et nous nous en contentons, ce qui n'est pas plus mal.

Et d'un coup, la magie opère.Ah! quand la cuisine française est surprenante, qu'elle cause une émotion, un petit éclair, c'est comme un lever de rideau. Les plats sont tous bien ficelés, odorants, beaux à voir et à sentir. Quand ils arrivent, les uns après les autres, ils laissent dans leur sillage une vapeur aromatique d'herbes, de sauce au vin concentré ou de champignons, qui font sourire. Avant même d'avaler, nous sommes déjà ravis, c'est dire.

On nous apporte deux petites bouchées d'un hachis de tilapia, qui d'ordinaire est un poisson plutôt fade ne présentant pas beaucoup d'intérêt, sauf son prix, peu élevé (c'est le troisième poisson d'aquaculture en importance). Au moins, il contient très peu de mercure, c'est un poisson végétarien. En tout cas, pour lui donner un peu de charpente, il faut le travailler, l'assaisonner, et c'est ce que fait le chef avec des herbes fraîches, de la tomate en dés, une pointe d'acidité. Bref, cette première bouchée a raison de nos craintes. C'est teinté, succulent; ça, c'est une ouverture qui met véritablement en appétit. Et le reste se présente comme une suite de petites choses résolument splendides. Une entrée de tataki de thon, une tranche à peine saisie sur l'extérieur, poivré juste ce qu'il faut, un jet de sauce pâle qui contraste avec le rouge sanguin du poisson cru. C'est léger et fin, un délice ! La terrine de cailles, sans révolutionner le genre, est goûteuse et franchement rassurante, bien grasse et moelleuse.

En plat, les «short ribs» de bison. Sculpturale avec l'os dans l'assiette blanche, la viande parfaitement cuite, fondante, savoureuse, est présentée sur une splendide purée de pommes de terre au fromage de chèvre. Pour contrer les -30 degrés , y'a pas mieux. Avec un verre de Côteaux-du-Languedoc, alors là, vous êtes aux anges. Autrement, une cuisse de pintade farcie, saucière mais juste assez, riche et élégante et reposant sur un remarquable risotto aux pieds-de-mouton, crémeux à souhait et curieusement plus français qu'italien par son parfum persistant de beurre et de crème, est une réussite totale. Là, je m'incline absolument.

Et les desserts, une tarte à la lime comme une «lemon meringue» et un feuilleté à la poire, sont tout aussi épatants.

Ce chef, il s'appelle Guillaume Beaulé-Sparks, a de la poigne, du doigté et beaucoup de mérite. Il sait qu'en mettant l'accent sur des choses pas compliquées, juste bien troussées, bien faites, et qui goûtent franc, et que si l'on fait du bon, du digeste, de l'appétissant, c'est ce que l'on attend aujourd'hui d'un restaurant.

 

Les deux gamins

170, rue Prince-Arthur Est 514-288-3389

On y retourne? On a envie de revenir dès le lendemain!

Prix: l'addition a la même ingénuité et la même réserve: 74$ pour deux formules à trois services, taxes et service compris avant le vin. Avec quelques verres, vous vous en tirez pour moins de 100$. Cherchez-en, des restos français à ce prix...

Faune: si c'est l'été, parions qu'elle sera du genre Américains de passage. Si c'est l'hiver, elle se tiendra loin des fenêtres et favorisera la cheminée, mais elle est « pur jus» et aime se coller.

Décor: douce (et vieille) France. Jean Gabin, Mistinguett, Piaf.

Service: de tous les registres, entre cajolerie et amabilité, il y a même comme un moment de tendresse, en évoquant le vin.

Vin: une carte modeste, une vingtaine de crus tout à fait dans l'esprit du moment, et les prix sont décents.

+ La vraie émotion culinaire.

- La musique «live» qui a tendance, quand elle arrive, à vous planquer là au milieu d'une intéressante conversation. Heureusement, les artistes sont talentueux et malgré tout, assez modérés.