On pourrait passer pendant des années devant un resto sans jamais le remarquer. Or, la Taverne du square Dominion, installée en plein coeur de Montréal depuis la fin des années 20, réjouit les touristes ou irrite les indigènes depuis longtemps. Mais pendant des années, avec sa façade sobre, elle est restée un peu invisible, coincée entre deux édifices, contente d'une existence pépère et d'une clientèle fidèle et conservatrice.

Dans les années 70, elle servait même de refuge aux gais qui n'avaient pas encore engendré de «Village». À l'intérieur, surprise! on se croirait catapulté au milieu d'un décor de film muet hollywoodien. L'action se passe même à l'époque de Henri VIII, le Tudor. C'est à la mode.

 

Car ce décor de vieilles poutres et de carrelage, évoquant un château hanté, est assez unique en ville. Peut-être est-ce la raison pour laquelle on ne l'a pas complètement corrigé, juste rafraîchi, et cela même si les patrons et l'orientation générale ont changé. Pour le mieux.

Si, dans son ancienne incarnation, on y mangeait de la cuisine de pub insignifiante, moitié anglaise moitié américaine, on a tout amélioré sans complètement rompre avec le fantôme anglais du lieu. Les tables, les chaises, les banquettes de cuir capitonné, le long bar et les miroirs, même les candélabres sont d'un autre temps.

Mais la cuisine s'est mise au diapason et est devenue férocement moderne, en dépit de notes volontairement british: ketchup, oeufs mimosas, ploughman's lunch, sticky toffee pudding, comme un clin d'oeil au genre bouffe d'ouvriers qu'ont recyclée les Gordon Ramsey et Jamie Oliver.

Frais et insolite

À première vue, tout cela pourrait être affolant, si ce n'était piloté par un jeune chef plein de talent, Éric Dupuis, anciennement de chez Decca 77, qui a trouvé dans ce répertoire un peu brut et pourtant vivace des idées fraîches et gentiment insolites.

Les entrées sont originales: une assiette de pépites de farine de maïs frites, présentées dans un contenant cartonné autour d'un ketchup tomate maison absolument succulent. La salade de betteraves est associée au fromage de chèvre - pas très anglais, ça, mais très bon tout de même - et nappée d'une émulsion robuste et citronnée. Nous commandons aussi un plat de gratin de brocoli, pour la nostalgie. C'est le seul regret de la soirée: légume trop cuit, sauce pesante.

Grand succès des hivers montréalais, la cuisine braisée a besoin de temps pour s'exprimer, de temps et de produits francs, de vin viril, d'herbes fraîches, d'épices chaudes et de pas mal de protéines animales. On retrouve tout cela dans des variations singulièrement intelligentes de mijotés comme le jarret d'agneau et les pig's knuckles (pattes de cochon) des anciens pubs, ici éclatants de franchise, avec des goûts nets, des sauces courtes et concentrées, des assaisonnements précis.

La viande de l'agneau est tendre et à peine filandreuse, savoureuse dans son jus dense et foncé. Le plat s'accompagne d'un excellent risotto d'orge aux petits pois verts, dans lequel on trouve des notes de menthe fraîche.

Le cochon est impressionnant et massif, presque encombrant avec sa garniture de pommes de terre vapeur et de choucroute maison. La patte est présentée entière, désossée en partie, la peau croustillante et dorée qui couvre une viande fondante et juteuse, pleine de ce goût si particulier au porc quand il est apprêté avec soin, légèrement épicé et bien salé.

La carte propose aussi un pot-au-feu de volaille aux abricots secs, des moules au cidre et au bacon, du cabillaud rôti à la purée de carottes, bref des compositions pleines d'esprit.

On termine sur une note «très» moelleuse, le célèbre sticky toffee pudding qui a sans doute fait plus pour la «bonne» réputation de la cuisine anglaise que Jamie Oliver ou Nigella Lawson. Il s'agit d'une sorte de gâteau humide et souple à la purée de dattes, nappée d'un épais sirop caramélisé, parfumé ici au whisky, et servi avec une glace vanillée, absolument magnifique. Sans blague! On n'en laisse même pas une miette, et on le fait sans aucun regret d'ailleurs.

En un mot, cette taverne, c'est du vrai bonbon!

 

Taverne du square Dominion

1243, rue Metcalfe Montréal 514-564-5056

On y retourne? Chaque fois qu'on aura envie d'être un peu canaille... C'est-à-dire souvent!

Prix: Très raisonnable pour un valeureux moment de gastronomie. Entrées à moins de 10$, plats entre 15$ et 20$. Comptez moins de 110$ à deux, taxes, service et plusieurs verres de vin et apéros compris.

Faune: Ce soir-là, des tablées de jeunes personnes en t-shirt griffés, parlant fort, et quelques couples ravis.

Service: Informel et informé, parfaitement efficace et d'une grande gentillesse. Sous la supervision d'une charmante personne au sourire grand comme ça. On en vient vraiment à penser qu'un repas se passe toujours bien quand on est si bien accueilli.

Vin: Petite carte modeste, trop peu de choix au verre. En revanche, on est bien conseillé.

+ Le fond sonore jazz, la machine à espresso tirée d'un vieux film de Rossellini, le décor suranné des toilettes. Et surtout, le coca et le tonic water faits maison.

- Il fait un peu sombre, là-dedans.