La scène gastronomique bouge beaucoup à Montréal. Les restaurants ouvrent, ferment, les chefs se déplacent. Ce qui était vrai hier pour un établissement ne le sera peut-être plus demain. Suivre l'actualité fait par moments tourner la tête et si vous ne vous y retrouvez plus dans le jeu de chaises musicales qui semble parfois se dérouler, ne vous en faites pas. Vous n'êtes pas seul. Loin de là.

Parmi les personnalités qui ont circulé beaucoup au cours des dernières années, il y a Marc-André Jetté et Patrice Demers. L'un est chef, l'autre pâtissier ou, plutôt, chef de desserts. On a connu Demers aux Chèvres, avenue Van Horne, avant que l'établissement ne fasse faillite. Il est ensuite parti chez Laloux, avenue des Pins, où travaillait Danny Saint-Pierre, qui a ensuite laissé la place à Marc-André Jetté. Jetté et Demers ont ainsi formé un nouveau tandem qui s'est imposé solidement. Avec la sommelière du Laloux, Marie-Josée Beaudoin, ceux-ci sont ensuite partis au Newtown, ancien restaurant de Jacques Villeneuve, où ils sont restés jusqu'à l'été dernier.

Ouf!

Au début de l'automne, les trois, ayant quitté la rue Crescent, se sont finalement posés dans le Vieux-Montréal, rue Notre-Dame Est, à deux pas de l'hôtel de ville. L'adresse est le 400, comme dans Les 400 coups, titre du film de François Truffault et expression amusante dont ils ont fait le nom de leur nouveau restaurant.

L'établissement se démarque dans un univers où, actuellement, toutes les nouvelles tables semblent vouloir se donner des airs «hipsters». Zéro nappe à carreaux. Zéro table en allée de bowling recyclée. Les plafonds sont vertigineux, Vieux-Montréal oblige. Les murs sont tapissés de photos de Paris décalées. On n'est ni dans l'aménagement contemporain d'avant-garde ni dans le recyclé-rétro-récupéré.

À table, la cuisine exprime aussi ce désir de ne pas tomber dans les modes. Comme il le faisait au Newtown et au Laloux, Jetté travaille dans la précision et la finesse. La cuisine est légère, minutieuse, remplie de références, de clins d'oeil et d'emprunts, autant aux traditions japonaises qu'aux créations de pointe venues d'Espagne ou de Scandinavie.

Ainsi, un impeccable amuse-bouche s'articule autour de couteaux de mer, servis dans un dashi en gelée - bouillon japonais à base d'algue au goût profond et un peu fumé - avec fines tranches de radis et concombres en dés. Ou alors un pétoncle, dont la cuisson met en relief le moelleux, devient complexe grâce à des notes de cari et le croquant d'un pied de brocoli aux notes amères justement dosées.

De façon générale, l'exploration fonctionne et les constructions complexes permettent aux saveurs de tomber chacune à leur place. Parfois, on note de petites failles, comme dans un ballet pas encore parfaitement rodé. Ainsi, la lourdeur de la crème de chou-fleur noie une garniture d'huîtres au citron Meyer et ni la mousse de babeurre ni le «caviar de Mujol» un peu éteint ne parviennent à rattraper le tout. Dommage, car le service déconstruit - on pose les ingrédients au fond du bol et on verse ensuite le potage - annonçait un joli moment.

En plat principal, le porcelet de Gaspor est fin et précis. On le sert en effiloché pressé, sous une croûte craquante - juste assez gras, juste assez fin. Dans l'autre moitié de l'assiette, le filet se coupe à la fourchette, plus sage. Une pommade d'abricots à la moutarde veille à allumer chaque bouchée, combinaison surprenante de «sûr et sucré» européanisée.

Comme prédessert, on nous propose une assiette très légère et très verte, peu sucrée, dont on remarque les références aux créations des chefs catalans et danois qui rendent de plus en plus floues les frontières du salé et du sucré. Le plat composé de pomme verte, pistaches, huile d'olive, coriandre et yaourt au chocolat blanc ne réussit toutefois pas à recréer la magie des inventions éclatées qui dépoussièrent les grandes tables internationales. Les ingrédients ne se répondent pas entre eux. Les parfums ne ressortent pas. On dirait des instruments de musique qui jouent tout bas, chacun de leur côté.

Le dessert aux fruits qui suit, construit autour d'une mousse (un peu trop) prise au yuzu, avec pamplemousse confit, noix de coco, noix de cajou et basilic thaï, est un petit peu plus en verve, mais là encore, on dirait qu'il manque un chef d'orchestre dans l'assiette. En revanche, l'assiette au chocolat Araguani, avec mousse chocolatée et sorbet à la poire, à la sapote - une sorte de kaki - et aux noisettes caramélisées nous ravit tendrement, parce que l'équilibre est impeccable et les saveurs bien profondes et marquées, tout comme les contrastes de textures.

Pour accompagner le tout, les vins proposés sortent des sentiers battus - la sommelière suggère notamment un chardonnay québécois - et sont parfois impeccables, rarement un peu maladroits. Un peu à l'image de tout ce repas qui, même s'il ne réussit pas à obtenir une note parfaite, prend des risques valables et pertinents.

Les 400 coups

400, rue Notre-Dame Est, Montréal

514-985-0400

Prix: Entrées entre 10$ et 15$, plats entre 21$ et 30$. Desserts à 10$.

Carte de vins: Choix audacieux et intéressants de la sommelière Marie-Josée Beaudoin, qui se balade notamment du côté de petits producteurs de France et d'Italie - avec même quelques bouteilles canadiennes. Intéressante sélection de vins au verre.

Service: Professionnel sans être froid. On est chez des gens sérieux. La sommelière est particulièrement efficace pour expliquer de façon précise mais accessible ses différentes suggestions.

Style: Le restaurant n'est pas un bistrot ni un établissement guindé. C'est une bonne table professionnelle, qui n'éblouit pas par sa déco avant-gardiste, mais propose une créativité culinaire consciencieuse.

+ La finesse du travail du poisson, des fruits de mer, des crudités. La carte de vins.

- Trop de desserts verts, pas assez au caramel ou à la vanille.

On y retourne? Oui.