Fausses olives en purée «sphérifiées», mozzarella en poudre, cacahuètes fondantes, dumplings de pétales de rose... Qui n'a pas entendu parler des acrobaties savantes du roi de la cuisine moléculaire, l'Espagnol Ferran Adrià?

Cet homme, depuis des décennies, polit et perfectionne 1000 techniques pour transformer la gastronomie en émotions douces et fortes, en moments de surprise, de joie, de poésie, en expériences toujours nouvelles. L'Espagne a produit toutes sortes d'artistes qui ont brisé les moules. Picasso, Dali, Gaudi. Adrià aussi. Il est de leur trempe et de leur génie.

À la fin du mois de juillet, toutefois, son restaurant de la Costa Brava, elBulli, à deux heures au nord de Barcelone, ferme ses portes pour devenir une fondation, un groupe de recherche. Est-ce dire que le grand public ne pourra plus goûter à ses créations?

Pas du tout.

Ferran et son frère Albert Adrià ont ouvert cette année un nouveau restaurant et un nouveau bar à Barcelone: Tickets et 41°. Et là, contrairement au elBulli où il était pratiquement impossible de faire une réservation, on peut trouver de la place si on le prévoit assez longtemps à l'avance. Il suffit de réserver des places sur l'internet (www.ticketsbar.es).

Bref, la grande cuisine moléculaire a une nouvelle porte d'entrée.

«Ce qu'on voulait, c'est faire un elBulli de quartier», explique Albert Adrià, en entrevue dans son nouvel établissement qui cartonne depuis le tout premier jour. Installé dans le Raval, sur l'avenue Paral-lel, artère jadis considérée comme la «Broadway» de Barcelone, l'établissement est partagé en deux entités. Un resto, Tickets, qui rend hommage à l'esprit showbiz du quartier et se donne des airs de cirque. Et le bar 41°, plus secret, aux éclairages tamisés.

Dans les deux espaces, l'aménagement est soigné et contemporain mais un peu théâtral, à des lieues de l'aménagement méditerranéen classique baignant dans les effluves d'eucalyptus d'elBulli. On a l'impression d'y être sur une scène. Personnage de soutien dans un opéra culinaire méticuleusement mené.

«Nous voulons proposer une rencontre entre la réalité et la tradition, continue Albert. En faisant quelques révisions un peu... baroques.»

Les concepts du restaurant et du bar sont très simples: on y propose des tapas. Au bar, de petits plats façon sashimi en trompe-l'oeil au foie gras croquant ou des olives en sphérification pour accompagner des cocktails fabuleux, y compris un Bellini à l'extrait de pêche pur ou une version révisée du Dirty Harry. Et au resto, de petits plats repas, à déguster les uns après les autres.

En gros, le menu pourrait se résumer ainsi: «elBulli, les grands succès». Tout y est. Le faux tartare qui est en réalité une salade de tomates. L'huître avec une «perle» qui est en fait une sphérification de dashi, un bouillon japonais fumé. Le sandwich typique au jambon, la «flauta», mais en version inversée. La tempura en trompe-l'oeil où des poissons frits sont plutôt des croustilles de riz soufflé. Les petits pois cuits façon «air bag»...

Contact direct

Alors que chez elBulli on entre un peu dans une galerie d'art, avec le côté solennel de l'expérience, chez Tickets on rigole, on s'amuse. La lumière est vive. Les sourires aussi. «Ici on est là pour divertir, là-bas pour les émotions», résume Albert Adrià.

Cela n'empêche pas le chef de tenir à la qualité du service. On n'est pas dans un trois étoiles. Mais on n'est pas dans une cantine ou un bistrot non plus. «On nourrit 260 personnes par jour, 260 V.I.P.», continue le chef, qui s'est fait connaître à elBulli pour son travail de pâtissier. «Le plus complexe, c'est de trouver le temps de travailler.»

Dans la salle, les convives viennent manger les classiques de cette extravagante cuisine moléculaire ou, comme d'autres disent, «techno-émotionnelle», dont ils ont tant entendu parler depuis 15 ans. Mais ils viennent aussi voir le chef à l'oeuvre. «Le contact avec les clients est très direct», note Adrià, qui ne manque rien et écoute, quitte à ajuster le menu. Selon lui, 70% de la clientèle sort des lieux avec un sourire. Une évaluation qui trahit bien le refus de toute complaisance typique des frères catalans.

Pendant qu'il nous parle, des serveurs passent avec des chariots d'où ils préparent un guacamole minute ou qui apportent d'étonnantes créations aux bananes et à la guimauve dignes d'une fête foraine. «Ici, on a du plus traditionnel au plus ludique», note le chef. Seul fil conducteur: «Hier ne m'intéresse pas. Demain? Oui!»

Tickets

Avinguda Paral-lel 164 Barcelona

www.ticketsbar.es