C'est une amie avec qui je mangeais, qui a déjà travaillé dans des restaurants, cuisinière merveilleuse et branchée sur son panier fermier bio, qui a mis le doigt sur le problème. «C'est un bon cuisinier. Mais il ne travaille pas avec les saisons. C'était la même chose quand il était au Local.»

Nous sommes assises sur le bord de la fenêtre de Chez Victoire, sur l'avenue du Mont-Royal, au coeur du Plateau. Et on parle d'Alexandre Gosselin, excellent jeune chef qu'on a connu chez O'Chalet, puis au Local, et ensuite chez Bar&Boeuf et BBQ dans le Vieux-Montréal, et qui travaille maintenant chez Victoire.

Devant le restaurant, angle Garnier, il y a une terrasse.

Directement sur le trottoir. Au bord du resto dont les portes-fenêtres sont grandes ouvertes, des boîtes d'herbes aromatiques en tous genres semblent vouloir marquer le thème des lieux. Si, pour la déco, tout fait référence au Montréal des années 60 et 70 - l'Expo, les Olympiques -, en cuisine, on se veut en effet bio-local-responsable. C'est écrit tout en haut du menu.

L'attention des boîtes de thym est fort jolie et prometteuse. Sauf que l'esprit «de la ferme à la table» semble s'arrêter là. Je prends des poireaux en entrée, servis sous un oeuf poché avec de fines tranches de Mimolette. C'est bien fait. Savoureux. J'adore les poireaux tendres comme ça. Mais j'ai l'impression d'être en automne... 2008. L'automne, parce que c'est la saison du poireau et 2008, parce que c'est là que les jeunes chefs branchés et tatoués de Montréal se sont mis à mettre des oeufs pochés sur toutes les salades.

De façon générale, le repas est bon. Bien préparé, comme ce savoureux morceau de maquereau annoncé comme «espagnol» (pourtant, il y en a plein dans le fleuve), très bien cuit et bien mis en valeur - les chefs devraient prendre exemple et offrir plus souvent sur leurs cartes ce poisson québécois abondant. On ne peut pas reprocher aux plats, isolés, hors contexte, de ne pas être intéressants, de ne pas chercher un équilibre.

Le canard cuit sous vide, par exemple, est impeccable, très tendre, et sa costaude sauce au vin lui sied à merveille.

Mais veut-on vraiment un tel plat coiffé d'un pavé de foie gras poêlé, pour lancer l'une des premières soirées chaudes de l'été?

Ce qui cloche dans ce restaurant, c'est que la mission «bio, locale, responsable» que s'est donnée l'établissement et qu'il affiche bien haut ne semble pas avoir de profondeur. On le dit, mais on ne va pas plus loin dans la réflexion.

Par exemple, un des éléments de base qui découle d'une telle philosophie est le respect des saisons. Pourtant, plusieurs plats ont des ingrédients hors-saison: que fait le maïs à côté des têtes de violons dans le plat de canard? Que fait la «truffe noire» dans le plat d'oeuf 63 degrés - donc cuit en pommade - quand elle est en saison à l'hiver? Est-ce de la truffe d'été alors qu'on parle? Il faudrait le préciser.

Et, au contraire, où sont l'oseille, la roquette? Pourquoi le homard est-il relégué à un petit coin du menu, en demi-queue, comme les asperges d'ailleurs, alors qu'on est en pleine saison? Et les fraises, où sont les fraises?

La semaine dernière, un chef me confiait qu'en ce moment, il y a tellement de pétoncles, de fraises et d'asperges du Québec, de bonne qualité, sur le marché «local», que personne ne sort de son resto sans en avoir mangé, d'une manière ou d'une autre. Une telle philosophie ne ressort pas Chez Victoire.

Aussi, pourquoi autant d'agrumes un peu partout? Du pamplemousse dans la purée de pommes de terre avec le maquereau, de l'orange avec les pétoncles et le canard... Un dessert de suprêmes de pamplemousse au sirop de kéfir et basilic et crumble de gingembre, beaucoup plus à la mode que réellement délicieux, notamment parce que le pamplemousse n'est pas juteux ce qui n'est pas étonnant, vu que ce n'est plus la saison.

En eux-mêmes, ces fruits sont savoureux et on comprend le chef de les apprécier. Mais si on affiche une philosophie locale, ne faut-il pas s'attendre à ce que les convives se posent des questions?

Nous arrivons à une étape, dans l'évolution des bons restaurants de quartier, ici comme à Brooklyn, Portland ou San Francisco, où les styles «carnivores du marché» établis et répliqués ad nauseam arrivent à un point de saturation. Pour continuer dans le même sens et se démarquer, il faut réellement proposer une réflexion supplémentaire. C'est ce que fait le Comptoir vins et charcuteries, par exemple, en se consacrant uniquement aux produits humbles. D'autres pourraient aller vers le «locavorisme» pur à la californienne, façon Alice Waters. Mais appliquer les principes du bio, local et responsable, à peu près, avec un style de cuisine qui semble vouloir flirter autant avec les modes qu'avec ces principes est voué à se heurter de plus en plus au scepticisme.

Alexandre Gosselin est un chef de talent qui sait innover. Qui sait faire éclater les idées reçues avec des combinaisons de saveurs inédites. Ne lui reste qu'à retrouver un cadre clair pour recommencer à exceller.

Chez Victoire

1453, av. du Mont-Royal, Montréal

514-521-6789

chezvictoire.com

Prix: Le restaurant propose beaucoup de formules. Une entrée et un plat à 20$ après 20h. Des menus de groupe à 40$ ou 35$ par personne, selon qu'on prend deux ou trois services. On offre même des menus de dégustation de 5 services à 55$ par personne, pour toute la table. À la carte, les entrées sont de 11$ à 19$. Les plats principaux, eux, vont jusqu'à 29$ tandis que les desserts sont de 7$ à 9$.

Carte des vins: Plusieurs bouteilles nature et bio. Choix varié et intéressant à prix raisonnables. Longue carte d'absinthe et de scotch.

Atmosphère: On est au coeur du Plateau. Le restaurant est très vivant, bien rempli d'une foule qui n'a pas grandi dans le quartier, mais qui l'habite.

Style: Dans l'air du temps. Un peu trop même. Plateaux d'huîtres et de charcuteries. Cuisine riche qui fait une belle place à la viande. Cartes de vins d'importations privées.

+ Le soin apporté à la confection des plats

- Le manque de profondeur de la réflexion sur le thème phare du restaurant bio-local-responsable.

On y retourne? Pas tout de suite.