C'est assez divertissant, ce petit resto de quartier qui se donne des airs de brasserie. Dans ce quartier où les rues sont numérotées, on l'a baptisé Quai No 4. Comme dans 4e Avenue, à l'angle de laquelle il est installé, rue Masson, depuis quelques mois.

La cuisine, pensée ici pour des amateurs, ne reflète pourtant pas vraiment le genre habituel. On voit apparaître partout en ville de ces lieux où le menu se compose de choses denses et rustiques associées à l'hiver. Ici, il y a un vrai chef en cuisine; les compositions sont vigoureuses, mais elles sont étudiées, soignées et présentées avec une sorte de délicatesse qui «trahit» le travail.

Pour un mardi soir, il y avait foule. Ça doit encore vouloir dire quelque chose, surtout dans Rosemont. En tout cas, sans réservation et à l'heure (presque) de l'apéro, nous sommes relégués à un petit guéridon et deux tabourets. Il y a à peine de la place pour les verres et le pain, on se demande comment les assiettes tiendront. D'un côté, on a installé un long bar autour duquel les clients peuvent s'asseoir et de l'autre, plusieurs banquettes le long d'un mur tapissé de bois et de miroirs. C'est assez sombre et très linéaire, mais on s'y sent quand même un peu ailleurs, comme dans une gare lointaine en attendant le départ. Pour un lieu modeste, c'est joliment assemblé, même si ce n'est pas particulièrement confortable.

Le menu est court, mais on trouve une signature qui sort de l'ordinaire. Il y a bien des tartares, de saumon et de boeuf, de la soupe à l'oignon, des ribs, du surf&turf et de la pieuvre grillée. Rien n'est exactement prévisible et bancal. C'est comme si le chef s'était évertué à donner aux plats la respiration artificielle: ils sont rajeunis, on leur a apporté un peu de ce souffle athlétique de la jeunesse.

Par exemple, on présente des assiettes de charcuteries sur des planches de bois: saucissons, foie gras au torchon, jambon cru bio, magret de canard fumé et même une sélection de cinq fromages locaux (les meilleurs, à mon avis, dont l'extraordinaire Rassembleu) à la pièce. C'est une bonne idée qui mérite d'être imitée, puisque ça encourage la convivialité. Nous choisissons ensuite une tarte feuilletée aux champignons doublée de foie gras (qui ne semble pas s'être manifesté, ou en tout cas, très discrètement) et une portion de cassoulet de cailles, avec des haricots bien fondants et crémeux, ponctués de lard et de saucisses. Disons qu'au règne de la chair animale, c'est un plat qui claironne: c'est bon, plein de saveurs franches, de gras parfaitement assumé.

Les ribs évoquent ces gros os qui donnaient à Fred Flintstone le sourire éclatant de sa gourmandise: c'est copieux et viril. Couchée sur une excellente purée de pommes de terre, la viande braisée longuement et grillée ensuite se détache des os sans effort et est assaisonnée avec maîtrise. On n'en laisse même pas une miette. Le tartare, coupé au couteau, même s'il a du caractère, acidulé justement, n'est pas retroussé au napalm; il picote un peu, mais ajoute une note saisissante. Les frites sont succulentes, croustillantes et légères. En finale, rien de nouveau: crème brûlée (encore!) et petit pot au chocolat (non, mais...) quelque peu éculés, mais bien faits. Au bout du compte, tout était bon, frais, à la limite de l'original, et malgré le bruit ambiant, on est sortis souriants.

Quai No. 4

2800, rue Masson

514-507-0516

Prix: Entrées autour de 10-15$, les plats entre 25$ et 30$, desserts à 7$. Les plats ne sont pas accompagnés de légumes. Pour les amateurs, il faudra commander la verdure séparément (le peu qu'il y a). Compter plus de 110$ tout compris, pour un repas avec quelques verres de vin.

Faune: Jeune - on s'y attendait -, fraîche, collée à ses cellulaires, fascinée par elle-même.

Service: Bienveillant, sympathique.

Vin: La carte fait aussi preuve de savoir-faire, on trouve même quelques vins canadiens très bons.

La maison se vante de faire de la «restauration responsable», d'utiliser et d'encourager les produits locaux - viandes, quelques bières et cidres - et le pain (la boulangerie est juste en face).

La musique, toujours elle, fait bourdonner les tympans dès que la lumière extérieure tombe. On se surprend à crier rendu au dessert.

On y retourne? De temps à autre. Pourquoi pas?