Il n'y a rien de plus touchant que la cuisine de femmes. Car elles sont presque toujours responsables des repas familiaux, et cela dans toutes les cultures traditionnelles. Par conséquent, on sent un lien profondément personnel entre nous, le client, et elles. Comme si elles faisaient la cuisine pour nous, à défaut de nous la "vendre". Et à la différence des hommes en cuisine, elles se font rarement baptiser "chef"; cuisinière leur convient tout à fait.

Et c'est encore plus vrai chez les Mexicains. Au restaurant Maria Bonita, petit troquet tout à fait charmant installé un peu secrètement depuis quelques années au coeur du Mile End, on a l'impression que c'est la patronne qui donne sa raison de vivre à l'entreprise. Elle est là aux fourneaux, qui surveille chaque assiette, voit à ce que tout ce qui sort de la cuisine soit bien fignolé et joliment présenté. Car l'authentique cuisine mexicaine est restée profondément familiale. Ce qui n'empêche pas monsieur d'être aux commandes de la salle, décorée un peu comme une cabane de pêcheurs du Pacifique, avec des murs de couleurs, ornés de sarapes et de vieilles photos.

Maria Bonita - "La belle Maria" - est le nom de la patronne, mais c'est aussi une très jolie chanson mexicaine des années 50 qui rendait hommage à l'une des plus célèbres actrices de son époque, Maria Félix, surnommée affectueusement "La Doña". En tout cas, Maria la cocinera, elle, nous en met plein la vue avec un menu qui suit de près les recettes familiales. Parfois, c'est exactement ce dont on a besoin.

À la carte, on trouve tout ce qui évoque le Mexique des touristes et celui des autochtones, du nord au sud, de l'est à l'ouest. En fait, Maria nous fait faire un tour de son pays à travers des spécialités de toutes les régions du Mexique comme un crémeux guacamole, avec le petit mordant du jalapeño et l'acidité de la lime. Ou encore des entrées de tortillas fraîches de maïs, des quesadillas, tout enroulées sur du fromage, du poulet et des oignons, ou une sorte de ragoût de porc aux piments guajillo. Si on laisse les tortillas à plat, ça s'appelle des Sopes, et on les couvre de haricots noirs, de laitue émincée, de fromage et de crème sûre. Et si ce n'est pas exactement dans le registre léger (du reste, qu'est-ce qui l'est dans cette cuisine?), c'est tout à fait succulent.

On peut aussi commencer un repas de ce genre avec des soupes, ici copieuses comme le pozole. Ce qui en réalité n'est pas une soupe, mais plutôt une sorte de ragoût fait de grains de maïs d'une variété à larges grains blancs qui ont la particularité de s'ouvrir comme une fleur à la cuisson et de viandes de porc, dans un bouillon parfumé au chili de différentes variétés. Selon les régions, on le prépare de différentes façons. Celui de Maria est l'un des plus soignés que j'aie goûté en dehors du Mexique: à la fois robuste et fin.

Le reste de ce repas était constitué de cazuelitas, de petites assiettes contenant plusieurs plats classiques de format miniature, à la manière des tapas espagnols. Un mole poblano de poulet, autre grand ragoût du centre du Mexique préparé à base de chilis, de cacao et d'épices. Un plat déconcertant qui peut facilement rebuter les néophytes. Mais c'est aussi celui par lequel on juge le talent d'une cuisinière, même si la sauce qui en forme la base provient ici d'une boîte. Qu'importe, puisque la señora Maria le travaille avec doigté.

Résultat: une sorte de braisé au goût complexe et énigmatique, fait de sucré, de salé et de pimenté. Le pipian, autre ragoût de poulet à base de graines de citrouille, est riche et crémeux. Il s'avale comme un antidote à cette succession de plats relevés. Cuit dans une feuille de banane, le cochinita pibil, fait comme au Yucatan, est un rôti lent de porc avec des graines d'achiote bien rouges, beaucoup de cumin, d'ail et de jus d'orange.

Chacun de ces plats de viande en sauce se mange avec des tortillas de maïs fraîches, servies chaudes dans un petit panier. Outre les propositions nombreuses et familières, on suggère aussi quelques idées inusitées comme une salade de mangues mûres, de tomates (involontairement raides et pas mûres) dans du jus de fraise. Ça a l'air un peu gauche, mais l'acidité des fruits corrige l'excès de protéines animales que l'on retrouve habituellement dans cette cuisine. On termine avec un gâteau aux trois laits, une sorte de génoise vanillée remplie de sauce et de crème, familier et exotique à la fois, détrempé dans du lait frais. Constat: nous sommes sincèrement touchés par ces troquets ethniques de quartier qui ne font pas de compromis.

Encadré(s) :

Maria Bonita

5269, rue Casgrain (près de Maguire) 514-807-4377

> Prix: les "tapas" facturés autour de 7$, des plats entre 10$ et 15$, douceurs à 5$. Prix très raisonnables pour une cuisine faite sur place, de A à Z.

> Faune: amoureux du Mexique (c'est toujours bon signe), quelques étudiants étrangers, Brésiliens de passage mêlant accents latinos et rires.

> Décor: mélange entre la cantine d'ouvriers agricoles et "l'autogrill" italien.

> Service: de bonne volonté et sympathique.

> Vin: bof! Préférez la cerveza bien froide, avec une rondelle de lime dedans. Servie sans verre.

Plus: l'ambiance conviviale et la totale dévotion des patrons pour la clientèle. C'est rare.

Moins: beaucoup de plats de poulet en fait, et peu de viandes rouges ou de poisson au menu. Et des nachos un peu humides pour tremper dans nos sauces.