Considéré comme une activité de dépannage, le jeu libre n'a plus la cote. C'est vrai à la maison comme à l'école. Entre la leçon de piano, le camp de jour scientifique et les matchs de hockey, les enfants manquent de temps pour jouer. Pourtant, le jeu libre favoriserait la bonne santé physique, cognitive et affective de l'enfant. Il réduirait même les risques d'être intimidé à l'école. Et si on laissait tomber l'horaire de ministre?

«On a l'impression que l'enfant apprend davantage dans une activité structurée, mais c'est faux. Si on arrive à revaloriser le jeu libre, on va se rendre compte que c'est une supervitamine pour le développement de l'enfant, indique Francine Ferland, ergothérapeute et professeure émérite de l'Université de Montréal. La semaine de relâche est une bonne occasion d'apprendre à notre enfant à trouver du plaisir dans le jeu libre.» Exit le camp de jour. Exit la télévision et l'ordinateur.

 

La plupart des experts s'entendent pour dire que le jeu libre, de la lutte improvisée à la gouache, aide à acquérir des habiletés sociales. Il contribue à réduire le stress (deux fois plus que la lecture, selon le Journal of Child Psychology and Psychiatry) et favorise le développement des fonctions cognitives, comme la résolution de problèmes et le langage.

Des enfants qui jouent ensemble utiliseraient un vocabulaire plus riche que lorsqu'ils jouent avec un adulte. Les aptitudes de langage sont aussi meilleures chez les enfants qui s'amusent avec des blocs, selon une étude parue l'an dernier dans le journal Archives of Pediatrics and Adolescent Medicine.

Créativité et autonomie

«Le jeu libre permet davantage une pensée créative que l'activité structurée, explique Francine Ferland, auteure du livre Et si on jouait? (Éditions Sainte-Justine). L'enfant décide à quoi jouer et comment. Il fait des découvertes, il apprend le fonctionnement des objets, il développe sa motricité et sa coordination, exprime des émotions dans des scénarios imaginaires. Ça lui donne un sentiment de liberté et de maîtrise extraordinaire. Quand un jeu lui plaît, l'enfant peut y mettre beaucoup d'efforts. Jeu libre n'est pas synonyme de facilité.»

La personnalité de l'enfant se forge dans le jeu libre. «Quand il joue sans objectif de performance et sans vouloir faire plaisir à ses parents, l'enfant s'affirme comme personne, indique Jocelyne Morin, professeure d'éducation à l'Université du Québec à Montréal. Dans le jeu libre, l'enfant se permet de transgresser des règles et voit ce qui est acceptable ou non. Il évalue les situations à sa façon et non pas comme un adulte. Il gagne en autonomie et en estime de soi.»

Jouer permettrait aussi de favoriser l'apprentissage scolaire, selon une nouvelle étude publiée en février dans Pediatrics. Selon les données recueillies auprès de 11 000 élèves américains de 8 et 9 ans, les enfants qui avaient bénéficié d'au moins 15 minutes de jeu libre par jour adoptaient un meilleur comportement en classe, ils étaient plus concentrés et obtenaient de meilleurs résultats scolaires. Bouger dehors serait encore mieux.

Prévenir l'intimidation

Depuis une vingtaine d'années, le temps consacré par les enfants au jeu libre a diminué du quart, selon un article publié en 2005 dans les Archives of Pediatrics and Adolescent Medicine. Cette baisse serait parmi les responsables de la croissance de l'obésité infantile. Les enfants privés de jeu libre seraient plus malheureux, moins adaptés socialement et moins créatifs. Faute de preuves solides, les avis divergent cependant sur la question.

L'enfant qui n'a pas appris l'autonomie, notamment par le jeu libre, peut finir par se sentir rejeté, soutient Jocelyne Morin. «Les enfants les plus vulnérables, sur lesquels on frappe tout le temps, n'ont pas appris à s'affirmer, à s'opposer. Quand on parle de taxage et d'intimidation, je pense que le jeu libre pourrait aider à les prévenir. Les adultes devraient y réfléchir.»

Pire, un manque de jeu libre - dans un contexte familial difficile, doit-on préciser - serait associé à d'éventuels comportements criminels, selon le psychiatre Stuart Brown, président du National Institute of Play, dont les propos ne font pas l'unanimité. «La conséquence d'une vie sérieusement privée de jeu peut être hautement problématique», a-t-il déclaré au Scientific American Mind en janvier.

Indice de bonne santé

Selon Jocelyne Morin, l'adaptation doit être graduelle chez un enfant habituellement très stimulé.

«Si on a toujours organisé la vie de son enfant, il va attendre qu'on le fasse encore, dit-elle. L'ennui est bénéfique, mais on ne devient pas créatif du jour au lendemain. Il faut aider son enfant, lui faire des suggestions.» Pendant la relâche, on peut proposer un horaire qui comprend des activités structurées et des plages de jeu libre. «On doit être à l'écoute de notre enfant pour trouver le juste milieu.» La clé? La diversité.

Le jeu est un excellent baromètre de santé, souligne Francine Ferland. «Si l'enfant est malade, triste ou anxieux, il ne sera pas porté à jouer. Quand on voit nos enfants dépenser beaucoup d'énergie et avoir du plaisir, on peut le voir comme un signe de bonne santé physique et mentale.» Qu'il soit libre ou structuré.