De nombreux couples infertiles du Québec recherchent activement une perle rare: une femme qui acceptera de prêter son ventre, souvent aussi ses ovules, pour porter l'enfant qu'ils ne peuvent avoir. Mais attention! Parmi celles qui s'affichent comme des mères porteuses, il y en a qui mentent et empochent des milliers de dollars sans qu'aucun embryon ait jamais existé. Elles laissent derrière elles des couples démolis, humiliés. Pour eux, les recours sont impossibles.

Pour une raison inexpliquée, les ovules de Sophie Lamontagne ne se rendent pas dans son utérus. Pour espérer tomber enceinte, comme des milliers d'autres femmes dans sa situation, elle doit avoir recours à des traitements de fertilité. Coût de l'opération: 20 000$. «Trop cher, dit-elle. Je n'en ai pas les moyens.»

 

C'est en furetant le printemps dernier sur les cyberforums traitant d'infertilité qu'elle est tombée sur Chantal* qui, elle, voulait devenir mère porteuse.

«J'avais déjà rencontré des mères porteuses, mais elles demandaient trop cher pour moi», raconte celle qui travaille en éducation dans la région de Montréal. «Chantal me proposait d'être mère porteuse gratuitement et que je lui rembourse seulement les frais médicaux, les examens, la chambre privée à l'hôpital, la nourriture et les vêtements de maternité.»

Début mai, Chantal annonce à Sophie qu'elle est en pleine ovulation. L'insémination «maison» - la mère porteuse s'injecte à l'aide d'une seringue le sperme du futur père - doit avoir lieu durant le week-end. Sophie et son conjoint se rendent chez elle. Mais Chantal dit s'être trompée, ses règles viennent de commencer.

À leur second rendez-vous, Chantal fait une surprenante révélation: elle est déjà enceinte d'un couple infertile avec qui elle faisait «affaire» avant de rencontrer Sophie. Ce couple s'est désisté quand il a su qu'elle attendait une fille, affirme Chantal à Sophie.

Sophie, quoique sous le choc, prend la nouvelle du bon côté. Chantal lui répète qu'elle ne veut pas de cet enfant et qu'elle souhaite que ce soit elle, Sophie, qui l'adopte. Sophie accepte.

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Juin 2009. Sophie Lamontagne et Chantal magasinent ensemble à Montréal. Et Chantal a une autre annonce à faire: elle attend des jumeaux.

Abasourdie, Sophie Lamontagne s'engage néanmoins à adopter les deux enfants. Mais deux enfants, ça signifie qu'elle doit acheter d'autres meubles... «On s'en va donc dans un magasin à Montréal. Elle me dit: «Pourquoi tu ne mettrais pas les meubles à mon nom mais avec ta carte de crédit?» Mais le problème, c'est que je n'avais pas de carte de crédit. J'ai donc refusé. Elle s'est fâchée.»

La colère de Chantal et son insistance pour acheter des meubles à son nom laissent Sophie perplexe. D'autant plus que Chantal, le soir même, a une autre annonce à lui faire: son conjoint avait été vasectomisé, mais elle n'est pas certaine que l'opération ait marché. Les enfants qu'elle porte pourraient non pas être ceux du couple avec qui elle était «sous contrat» avant Sophie, mais être ceux de son conjoint.

«Mon coeur s'est arrêté de battre, dit Sophie Lamontagne. J'étais rouge de colère, mais j'ai continué parce que je voulais voir jusqu'où irait sa méchanceté.»

Mi-juin. Chantal annonce à Sophie que les bébés sont vraiment ceux de son conjoint. Mais Sophie avait déjà décroché. «Je lui ai dit de les garder. Moi, j'avais lâché prise.»

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Dans sa correspondance avec Chantal, Sophie retrouve une copie du contrat que la mère porteuse avait signé avec le couple précédent. Elle leur téléphone et leur raconte comment Chantal lui a proposé d'adopter les enfants qu'elle avait supposément conçus pour eux.

La Presse est entrée en contact avec ce couple, qui désire conserver son anonymat mais qui a accepté de raconter son histoire pour éviter que d'autres couples se fassent flouer. La dame explique que, pendant cinq mois l'hiver dernier, Chantal leur a fait croire qu'elle était enceinte de leurs jumeaux, tout en évitant soigneusement de se retrouver dans un cabinet de médecin en leur présence.

«Vers le troisième mois de grossesse, je lui ai envoyé une autorisation médicale à signer afin que nous puissions avoir accès aux renseignements médicaux concernant la grossesse et les enfants à naître. Elle m'a fait une crise, m'accusant de vouloir prendre les décisions à sa place, alors qu'il s'agissait de son corps et me menaçant qu'il n'y aurait pas de bébé, laissant ainsi planer l'incertitude à savoir si elle allait les garder ou se faire avorter.»

L'histoire s'est terminée au moment où le trio devait se rendre à l'échographie. «Elle m'a appelé sur mon cellulaire, me disant qu'elle ne pourrait pas faire l'échographie puisqu'elle avait perdu le bébé la nuit précédente. Elle n'avait aucune émotion.»

Sophie Lamontagne les a informés au début de l'été que Chantal se servait du contrat qu'ils avaient signé pour se donner de la crédibilité. «Avec du recul, nous savons qu'elle n'a jamais été enceinte, car malgré le fait qu'elle se plaignait de prendre du poids, son apparence physique n'a jamais changé. Elle s'habillait un peu plus lousse, et comme c'est quelqu'un de très corpulent, il était difficile de déterminer si c'était son ventre ou la grossesse.»

Elle lance finalement un avertissement: «N'allez pas croire que ce sont des gens naïfs et sans éducation qui se sont fait flouer, dit-elle. Cette histoire a été vécue par un couple de professionnels.»

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Sophie Lamontagne a décidé de témoigner publiquement de ce qui lui était arrivé.

«Il y a d'autres femmes comme moi qui pensent faire appel à une mère porteuse. Je veux qu'elles sachent qu'il y en a qui ne le font pas pour des raisons honorables. On n'y connaît rien, on n'est pas protégé, et quelqu'un a profité de ma naïveté. Quand on va sur l'internet, on lit que c'est illégal. Quand on parle aux mères porteuses, elles disent que c'est pas illégal. Qu'est-ce qui est légal? On ne le sait pas.»

Une autre femme arnaquée, qui a demandé à préserver son anonymat par crainte de représailles de son «ex-mère porteuse», conseille aux couples de considérer d'autres options, comme l'adoption, avant les mères porteuses. «Il faut être conscient qu'il s'agit d'un acte de foi sans aucun recours possible en cas de pépin.» Elle suggère aussi de rencontrer un avocat et de ne pas verser d'argent à la mère porteuse «avant qu'elle fasse un test de grossesse positif en leur présence».

Parmi tous les cas de couples floués examinés par La Presse, aucun d'eux n'a su avec certitude si la mère porteuse avait réellement été enceinte. Dans certains cas, des sommes importantes, jusqu'à quelques milliers de dollars, ont été versées.

Sophie Lamontagne est soulagée de s'être retirée avant d'avoir perdu trop de sous. Pendant son aventure avec Chantal, elle avait abandonné ses démarches d'adoption au Québec. Aujourd'hui, elle attend que les traitements d'infertilité lui soient remboursés pour faire un essai. «Moi, je n'ai pas perdu d'argent, résume-t-elle. Mais j'ai perdu mes illusions.»

*Chantal a été contactée par La Presse pour donner sa version des faits, mais a refusé de le faire. Elle est identifiée par un nom d'emprunt.