Lucie Joubert a 52 ans. Et n'a jamais voulu d'enfant. Elle a par ailleurs une vie comblée: un amoureux, des amis, une famille proche. Une carrière aussi. Une fille heureuse et sans histoire? Erreur.

«Il me manque un morceau. Je suis née, je vis et j'aurai vécu dépourvue des plus subtiles et mystérieuses parties de la mécanique féminine: l'envie de la maternité. (...) Il paraît qu'en cherchant bien, je découvrirais dans mon for intérieur un vide. (...) Bref, j'ai l'impression de bien aller, mais je suis dans un état épouvantable.»

 

Professeure de littérature à l'Université d'Ottawa, Lucie Joubert vient de publier un livre sur cette délicate question toujours taboue: ne pas désirer d'enfant. Dans L'envers du landau, aux éditions Tryptique, elle décortique le discours ambiant très promaternité, tel que perçu par celles qui ne veulent rien savoir de la maternité, justement. «Est-ce que je suis la seule qui sent cette pression poussant les femmes vers la maternité?» demande-t-elle en sa qualité de «nullipare» - un terme qui se passe de tout commentaire sur le jugement de valeur qu'il véhicule: «nulle» allant «nulle part». «Moi, je suis une nullipare qui sait où elle s'en va», rétorque l'auteure.

C'est que partout, signale-t-elle, des proches, parfois même de purs inconnus, se permettent des commentaires: «Tu vas le regretter, vieillir toute seule, passer à côté de ce qui fait la capacité d'être femme, c'est la plus belle chose qui puisse être vécue. Il restera quoi une fois que tu seras partie...»

«Avant, c'était le clergé qui faisait ce genre de commentaires. Maintenant, c'est le discours social», dit-elle. Ce virage conservateur est d'autant plus surprenant, croit-elle, que la société montre par ailleurs beaucoup d'ouverture pour la différence: les couples gais et lesbiens peuvent adopter, les femmes qui ont des enfants sur le tard ne sont pas jugées, «mais une portion de la population subit encore des préjugés: ceux qui n'ont pas d'enfants».

Et ce virage l'inquiète: «Cela menace ce choix que les femmes ont conquis: le choix d'avoir ou non des enfants.»

Le rôle des médias

Même les médias sont touchés, dit-elle. Les journalistes se permettent de plus en plus d'écrire en leur qualité de parent (elle cite le journaliste Vincent Marissal, de La Presse, qui parle de temps à autre de ses enfants, ou encore Marie-Claude Lortie, qui parle souvent à titre de maman): «Et moi, je ne me sens pas concernée.» Idem à la télévision: la populaire série Les Parent, à Radio-Canada, met en scène une famille banlieusarde de trois enfants, «exactement le modèle vers lequel il faudrait tendre démographiquement», signale-t-elle. «Non, je ne dis pas qu'il y a un complot, mais plutôt un discours social qui s'organise.»

Du coup, dans le très populaire débat sur la question de la conciliation travail-famille, Lucie Joubert préfère s'abstenir. «Je suis une adversaire des mères qui travaillent, malgré moi!» Adversaire? «Parce que j'en subis les effets.» En effet, quand une collègue doit s'absenter, partir en congé de maternité, qui se tape les fonctions supplémentaires? Ce qui ne la dérange pas nécessairement, dit-elle, sauf quand ces mêmes mères attendent que les féministes (à qui elles reprochent par ailleurs d'avoir imposé le modèle de la superwoman) trouvent des solutions à leurs problèmes. «Pourquoi tout attendre des féministes?» Selon elle, c'est aux femmes de faire des choix: entre un colloque et une fête d'enfant, au lieu de culpabiliser, choisissez, dit-elle. Une fois pour toutes: «Assumez!»