En France, toutes les télés se l'arrachent. Élisabeth Badinter a aussi fait la tournée de toutes les radios, de tous les journaux. Comme si on redécouvrait le féminisme, a commenté un animateur de Canal». Et sans surprise, la polémiste, habituée aux formules-chocs, ne fait pas l'unanimité.

C'est que son essai, qui ne sera en vente au Québec que le 3 mars, ne fait pas dans la dentelle. «La femme réduite au chimpanzé», a titré Libération, rapportant ses propos au sujet d'une «guerre idéologique souterraine», un «retour en force du naturalisme», une «bataille du lait», et une «culpabilisation des mères».

 

Qu'en pense-t-on, de ce côté-ci de l'Atlantique? Même sans avoir lu le livre, les femmes interrogées ne se sont pas fait prier pour réagir. Les commentaires, ici aussi, vont dans toutes les directions.

La sociologue féministe Francine Descarries avoue d'emblée partager plusieurs des craintes que formule l'auteure. «Une réflexion sociologique s'impose», dit-elle. Selon elle, le «discours écologiste», en prônant toute sortes de «diktats», «ne tient pas compte des contraintes qu'il ramène sur la femme en tant que femme». Car qui lave les petits pots à recycler, où sont les hommes quand vient le temps de laver les couches? se demande-t-elle. Si toutes les personnes interrogées reconnaissent qu'au Québec, les pères sont nettement plus présents qu'en France, «ces contraintes reposent sur le dos des femmes qui sont encore responsables de 80% des tâches domestiques», rappelle la sociologue.

Selon Pascale Navarro, journaliste et auteure féministe (La modestie féminine), Élisabeth Badinter fait au contraire un «amalgame un peu précipité» entre différentes tendances. «Il y a des tonnes de femmes qui allaitent et qui ne recyclent pas! fait-elle valoir. Il ne faut pas tout mêler.» Il reste que sur plusieurs points, les vertus des purées maison et les couches lavables, entre autres, «on peut avoir certaines craintes. Mais comme toute bonne débatteuse, elle (Badinter) exagère un peu.»

«Je ne pense pas qu'on puisse associer mouvement écologiste et retour à la maison des mères, rétorque à son tour Caroline Voyer, directrice générale du Réseau des femmes en environnement. Je suis entourée de femmes qui travaillent en environnement, et elles n'ont pas du tout envie de retourner à la maison.» D'abord, parce qu'il n'existe pas un, mais des discours environnementaux, dit-elle, et ensuite parce que les choix écolos («et personne n'impose de choix!») sont multiples. Outre les couches lavables et les purées maison, il existe une foule d'autres options qui ne nécessitent pas d'investissement en temps: le biberon en vitre plutôt qu'en plastique, les petits pots bios ou sans pesticide. «Ça, ça ne donne pas plus de travail à la famille.»

Pour Fabienne Camilleri-Deghetto, propriétaire de Maman Autrement, une boutique d'accessoires de maternité écolos, il est carrément «choquant» que l'on montre ainsi du doigt les couches lavables. «C'est deux fois 10 minutes par semaine!» Loin d'être «rétrograde», dit-elle, c'est un «choix conscient pour l'environnement».

Françoise David, dont le parti, Québec solidaire, est ouvertement féministe et écologiste, ne croit pas non plus que le mouvement vert mérite d'être dénoncé. N'empêche, ajoute-t-elle, si cela ne vient pas des écologistes, «un certain courant de pensée qui s'exprime sur la maternité, de manière insidieuse, fait peser sur les nouvelles mères des contraintes que je ne connaissais pas, moi, comme mère. Les mères se sentent coupables si elles ne donnent pas tout le temps le meilleur. Mon Dieu que je trouve ça compliqué d'élever un bébé de nos jours!»

Le problème, croit pour sa part Annie Roy, cofondatrice de l'Action terroriste socialement acceptable (ATSA), bien connue pour ses prises de position écologistes médiatiques, c'est quand les féministes ou les écologistes versent dans le «dogme». «Et là où je n'aime ni l'un ni l'autre, c'est quand on tombe dans la prédication.» Car il existe toutes sortes de femmes, dit-elle. Certaines allaitent longtemps, d'autres non, utilisent des couches de coton ou non. Et le devoir du féminisme, selon elle, c'est non pas de montrer du doigt celles qui font le choix de s'occuper de leurs enfants (après tout, avoir des enfants, c'est «un temps et une énergie à donner», faut-il le rappeler), mais au contraire de «prôner le choix». «Parce que la liberté de chacune, c'est aussi d'avoir ce choix.»

Que celui-ci plaise à Élisabeth Badinter ou pas...

 

Le retour de la «femelle chimpanzé»

Dans un entretien accordé au journal français Libération pour le lancement de son essai Le conflit, la femme et la mère, publié chez Flammarion (en vente ici le 3 mars), Élisabeth Badinter dénonce le nouveau modèle de la «bonne mère» aujourd'hui, une femme qui allaite à la demande («comme si nous étions toutes des femelles chimpanzés»), fait ses purées bios, ne confie pas son enfant trop tôt à la garderie et n'utilise que des couches lavables (bref, un emploi à temps plein). Ce modèle incarne, toujours selon l'auteure, «une représentation à rebours du modèle qu'on a poursuivi jusqu'à présent, qui rend impossible l'égalité des sexes et malvenue la liberté des femmes». En un mot, dit-elle: «C'est un retour en arrière.» -Silvia Galipeau