On le sait. On le dit. Et on le répète: les enfants ne jouent pas assez. Et après? Certains agissent. C'est le cas de Darrell Hammond, un Américain qui a décidé de redonner aux jeunes le goût de jouer. Et pas à peu près. Depuis qu'il s'est mis en tête de résoudre le «déficit de jeu» de nos enfants, l'homme a participé à la construction de tout près de 2000 modules de jeux à travers les États-Unis, le Canada, même le Québec.

Pensez-y: 2000 glissoires, balançoires, et autres échelles pour redonner aux jeunes le goût et surtout l'occasion de s'amuser. Et n'allez pas croire qu'il s'agisse là d'une épopée purement ludique. «Le jeu n'est pas un luxe, écrit-il dans un livre qui vient de paraître, relatant la genèse de son rêve, et de toutes ses réalisations, Kaboom! How One Man Built a Mouvement to Save Play, aux éditions Rodale. Il y a un déficit sévère du jeu dans ce pays, et cela fait du mal à nos enfants. Ce déficit est responsable d'une augmentation des problèmes de santé chez les jeunes, du déclin de leurs résultats scolaires et de leur créativité. Nous avons donc décidé de créer un mouvement pour sauver le jeu, pour redonner du temps, et des espaces de jeux aux enfants.»

Son livre est truffé de statistiques connues, et moins connues, sur ce «déficit». Ainsi, aux États-Unis, seul un enfant sur cinq vivrait non loin d'un parc. Ces heureux élus sont du coup cinq fois moins à risque de souffrir d'embonpoint ou d'obésité. Mieux: non seulement le jeu permet-il aux jeunes de développer plusieurs compétences physiques, il permet aussi d'acquérir des aptitudes sociales, de faire l'expérience du risque et de ses conséquences, bref, d'apprendre. Une étude menée en Caroline-du-Nord a même démontré que les jeunes qui jouent le plus dans leur petite enfance sont plus susceptibles de faire des études supérieures!

Sans oublier «le plus grand avantage du jeu», conclut l'auteur, motivé, mais aussi réaliste ... «c'est que c'est amusant!» Rien ne prédestinait pourtant l'homme à se dévouer ainsi à la cause des enfants. Élevé dans une maison d'hébergement pour orphelins (son père a abandonné sa mère et ses sept enfants), il a rapidement déserté l'université. C'est pourtant là, dans cette maison d'hébergement, qu'il comprend très tôt l'importance du bénévolat dans la vie d'un enfant (il y est entouré de bénévoles). C'est là, aussi, qu'il saisit l'importance du jeu. Du jeu libre, à l'extérieur. Là-bas, il vit entouré d'arbres. Or, en entrant dans la vraie vie, il prend conscience que tous les jeunes n'ont pas cette chance. En 1995, un macabre fait divers le bouleverse. Le Washington Post révèle que deux enfants, pendant une journée de canicule, se sont enfermés dans une voiture, faute d'autre endroit où s'amuser. Ils y sont restés...

Le secret: impliquer les communautés

La même année, Hammond fonde, du fond de son petit appartement à Washington, Kaboom! , un organisme sans but lucratif voué à la construction de modules de jeux pour les enfants. Mais pas n'importe comment. Car qui dit structures de jeux dit évidemment gros sous. On estime qu'un module peut coûter entre 75 000 et 300 000$. Or, Hammond n'est pas millionnaire. Son idée (et c'est ce qui fait toute l'originalité de sa démarche), est d'impliquer les communautés locales dans toutes les étapes de la construction. Une petite expérience de bénévolat dans une vie antérieure le convainc de la faisabilité de sa démarche. De la maquette (tous les enfants sont invités à dessiner leur module de rêve) au recrutement des bénévoles (jusqu'à 200 sont nécessaires pour monter certaines structures) et à la recherche d'outils, sans oublier, bien sûr, les campagnes de financement, ce sont les communautés qui font tout (encadrées, bien sûr, par Kaboom!). Et les sous? Tenez-vous bien: Hammond réussit à convaincre de très gros noms de l'industrie de donner à la cause. À ce jour, plus de 290 entreprises ont donné des millions de dollars. On pense à Home Depot, Foresters, et autres Kraft Foods. Tout récemment, Dr Pepper Snapple s'est engagé à verser 15 millions sur trois ans à Kaboom! Cela en fait des modules de jeux à venir...

Magique, vous dites? Il y a mieux: si le travail préparatoire avec les communautés (la décontamination des terrains, le design final et le choix de la structure avec l'entrepreneur, etc.) peut prendre de 8 à 12 semaines, la construction, en soi, se fait en une seule journée. En une matinée, en fait. «Les bénévoles arrivent et, kaboom, on a un parc!» a déjà lancé un enfant, ébloui, devant le résultat, assez spectaculaire merci.

Kaboom! en quelques chiffres

-1995, année de fondation de Kaboom! à Washington

-Près de 2000 structures de jeux aux États-Unis, au Canada, au Québec (notamment dans des cours d'école à Trois-Rivières, Pointe-Claire, Greenfield Park et Montréal Ouest)

-Plus de 5,5 millions d'enfants profitent des modules de jeux.

-Plus d'un million de bénévoles ont participé à la construction des structures.

-200 millions de dollars récoltés par le biais de campagnes de financement

-Plus de 290 entreprises ont fait des dons.