Oui, les pères aussi souffrent après une fausse couche. Eux aussi saignent après un décès prématuré. Mais bien différemment des mères. Et parfois des années après le drame, sans crier gare, ils craquent. À quelques jours de la Journée internationale du deuil périnatal, une chercheuse québécoise nous fait part de ses découvertes inédites.

Imaginez un père. Sa blonde fait une fausse couche. Il la soutient pendant son deuil, la console de son mieux, l'aide à traverser sa douleur, sans nom, et à retrouver un semblant de quotidien. Et lui? Il tient le fort.

Des années plus tard, le couple mène à terme une grossesse. Oh joie, pensez-vous? Mais alors pourquoi le père se sent-il malgré tout irritable, colérique, impatient? Pourquoi, surtout, a-t-il le sentiment que cet enfant, pourtant si désiré, est particulièrement compliqué? Se pourrait-il que ce papa souffre de dépression périnatale à retardement?

C'est bel et bien ce que semblent indiquer les données préliminaires de recherche de Francine de Montigny, professeure en sciences infirmières de l'Université du Québec en Outaouais, qui travaille depuis des années sur la santé mentale des pères, en période postnatale. C'est par le plus grand des hasards, alors que la titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la santé psychosociale des familles sondait plutôt les pères sur leur expérience de l'allaitement, qu'elle a pensé, par pure curiosité scientifique, croiser certaines données. C'était la semaine dernière.

Résultat? Sur ses 209 pères (des hommes de 30 ans en moyenne, ayant des enfants de 11 mois, tous allaités plus de 6 mois, pour les besoins de sa recherche en cours), elle s'est aperçue qu'exactement 22% d'entre eux avaient vécu la perte d'un bébé lors d'une grossesse précédente, un chiffre qui correspond précisément à la réalité. «C'est ce qu'on retrouve dans la population en général: 20% des grossesses qui se terminent en fausses couches, et 700 bébés qui meurent annuellement, entre 28 semaines de grossesse et 28 jours de vie», explique la chercheuse, devant ses résultats tout frais.

Deux fois plus de signes de dépression

La surprise est toutefois ailleurs: de ce nombre, elle a découvert que 16% avaient un score dit «élevé de dépression», se disant «plus tristes que d'habitude», «plus irritables que d'habitude». Du côté des pères n'ayant jamais vécu de tel deuil, ils étaient deux fois moins nombreux (7%) à afficher un score de dépression aussi élevé. «Cela m'a vraiment surprise, parce qu'on voit que près de deux ans plus tard, les papas peuvent éprouver des difficultés!» En effet, entre le deuil, une grossesse (9 mois) et la date de l'enquête (11 mois plus tard), il s'est ici écoulé un minimum de 20 mois.

Il y a plus: en sondant les pères sur leur niveau de stress, la chercheuse a aussi réalisé que les pères ayant vécu un deuil périnatal (fausse couche ou autre) étaient «significativement plus stressés» que les autres. «Ces pères étaient plus stressés avec leur enfant, avaient des interactions plus difficiles avec l'enfant, et percevaient leur enfant comme plus difficile également.»

Tout cela, rappelons-le, près de deux ans après avoir traversé un deuil. «Oui, c'est surprenant», note la chercheuse. D'autant plus qu'il s'agit, sauf erreur, d'une des rares enquêtes portant sur le deuil périnatal des pères menées à aussi long terme. Une seule autre enquête a porté spécifiquement sur la question, et ce il y a près de 10 ans, en Australie. «Dans 90% des enquêtes, on étudie les mères, déplore la chercheuse. Or, les hommes et les femmes ne nous disent pas les mêmes affaires. Ce n'est pas vrai qu'en interrogeant les mères, on va savoir ce que vivent les pères.»

Des recherches subséquentes (en cours, les résultats sont attendus pour 2014) seront nécessaires pour vérifier certaines hypothèses: se pourrait-il que les pères n'entrent en contact avec leurs émotions qu'une fois que la mère a surmonté les siennes? La nouvelle grossesse a-t-elle réactivé certaines anxiétés chez les pères? Surtout, quel impact cela peut-il avoir sur la santé de l'enfant vivant, et les services sont-ils adaptés à cette souffrance à plus long terme?

Francine de Montigny espère que ses résultats, aussi préliminaires soient-ils, mettront «la puce à l'oreille» aux hommes: «Il ne faut pas qu'ils hésitent à consulter s'ils sentent que ça ne va pas bien! S'ils n'ont pas de fun avec leur bébé, même deux ans après un deuil, il se peut qu'il y ait un lien!»

La Journée québécoise de sensibilisation au deuil périnatal a lieu chaque année, le 15 octobre. Pour en savoir plus sur la campagne de cette année: www.parentsorphelins.org