La saison de l'ail des bois ramène les cueilleurs illégaux dans les forêts québécoises. Et même sur des terres privées, au grand dam de leurs propriétaires, qui ont souvent peu de recours contre ces pilleurs de la nature. Le précieux bulbe est ensuite revendu sans scrupule en Ontario ou encore dans certains commerces du Québec, où l'ail mariné en pot, un produit de contrebande, se trouve pourtant facilement. Comme les cigarettes.

Depuis 1995, la vente de l'ail des bois est interdite au Québec et sa cueillette n'est permise que pour une consommation personnelle afin de préserver cette ressource jugée menacée. Une commercialisation excessive a mené à la destruction de nombreuses colonies. Maintenant, des cueilleurs sans scrupule peuvent détruire en quelques heures des colonies entières.

 

La limite légale a été fixée à 50 bulbes par personne et par année. Chaque printemps, les agents du ministère des Ressources naturelles et de la Faune patrouillent les bois des régions à risque. Mais ils ne peuvent pas être partout.

«Parfois, tôt le matin, il est déjà trop tard. On arrive ici et on évalue l'ampleur des dégâts», raconte un agriculteur de la région d'Oka. L'ail des bois n'est pas menacé d'extinction dans cette forêt privée, où le plus grand risque qu'il court est de se faire piétiner. Il y en a tellement qu'on ne sait plus comment l'éviter. Le ministère de l'Agriculture du Québec a déjà évalué qu'il y a plus d'un million de plants sur la terre en question. Le propriétaire croit qu'il y en a beaucoup, beaucoup plus.

Cette richesse attire malheureusement des pilleurs. Parfois, ils visitent la forêt la nuit, munis de lampes frontales. Le propriétaire a souvent alerté la police. Des contrevenants ont été interpellés. Si on peut cueillir de l'ail pour sa consommation personnelle, rien ne permet de violer une propriété privée comme c'est le cas ici. Mais les cueilleurs qui visitent cette forêt de la région d'Oka le savent très bien. C'est pour cette raison qu'ils viennent à des heures indues, parfois même accompagnés de chiens menaçants. Et c'est pour cette raison que le producteur agricole souhaite conserver l'anonymat. Le marché noir de l'ail des bois n'est pas le loisir des enfants de choeur.

Une partie des cueilleurs du Québec vend sa récolte en Ontario. À Ottawa, on peut facilement, et en toute légalité, se procurer les bulbes prêts à la consommation. Au ministère de la Faune, on confirme que l'Outaouais est une région particulièrement névralgique. «Il faut faire attention: si vous allez en Ontario, que vous achetez 100 bulbes au marché public et que vous les rapportez au Québec, vous êtes en infraction», explique Marie-Josée Lévesque, porte-parole du ministère de la Faune dans ce dossier. Mais on peut aussi acheter de l'ail des bois au Québec, en toute impunité. Pour 15$, nous en avons très facilement trouvé dans une station-service de Kanesatake.

Culture sous surveillance

Les agents québécois de la Faune consacrent 2000 heures par année à l'ail des bois. Ils procèdent à une centaine d'arrestations par année. Une partie des contrevenants sont des cueilleurs un peu naïfs qui s'emballent à la vue de cet envoûtant végétal, explique Marie-Josée Lévesque. L'ail des bois a un parfum plus doux et plus sucré que l'ail courant, et il est plus goûteux. Mais c'est surtout le fait qu'il soit interdit qui attire les voleurs. Les agents de la faune interpellent parfois des cueilleurs qui ont en leur possession des milliers de bulbes. Ceux-là savent très bien ce qu'ils font.

Quelqu'un qui dépasse le maximum de 50 bulbes est passible d'une amende de 500$ à 1000$. Un cueilleur qui en a plus de 500 devra payer une amende additionnelle de 50$ par bulbe, jusqu'à 20 000$ pour la première infraction. Les récidivistes peuvent être condamnés à des peines plus sévères.

«En général, les gens sont toutefois très respectueux de cette ressource car ils veulent continuer d'en cueillir», précise Marie-Josée Lévesque.

Les agents de la faune remettent les bulbes saisis au Biodôme de Montréal, qui a lancé un programme de sauvetage de l'ail des bois en 2000. La possibilité de reconstituer une colonie est assez bonne, explique Andrée Nault, responsable du programme Sem'Ail, au Biodôme. Car s'il faut être très patient lorsqu'on sème de l'ail, lorsqu'on plante un bulbe, les chances de réussite sont excellentes. Le Biodôme a une liste de personnes intéressées à récupérer les bulbes saisis et privilégie les gens qui peuvent leur offrir un milieu de vie optimal. Les érablières sont une excellente terre d'accueil, explique Andrée Nault.

Ce qui ne devrait pas empêcher les jardiniers de tenter le coup, dit-elle. Le chroniqueur de La Presse Pierre Gingras a lui-même fait fleurir des plants qui lui ont donné des graines. On peut ensuite disperser ces minuscules graines. Le Biodôme a aussi distribué des semences venues de plants confisqués. «Il s'est écoulé sept ans avant que quelqu'un nous appelle pour nous dire qu'il avait des fleurs», prévient toutefois Andrée Nault.

Parfois, la culture tourne au cauchemar. Comme pour notre producteur agricole, qui a de l'ail des bois comme de la mauvaise herbe mais qui ne peut y toucher sans s'exposer à de fortes amendes. Et qui a des visiteurs non désirés sur ses terres, jour et nuit. «Parfois, j'ai l'impression que je ne suis même plus chez moi, ici, confie-t-il, découragé. Je me sens dépossédé de mes terres et je commence à manquer de souffle pour résister.»

 

Les règles d'or pour bien cueillir l'ail des bois

> Attendez la fin de la saison, au début du mois de juin, pour avoir des plants plus gros et ainsi être tenté de moins en cueillir.

> Ne cueillez pas de plants reproducteurs, qui ont une tige contenant les graines.

> Étalez la cueillette sur la surface. Ne cueillez pas tous les plants les uns à côté des autres.

> Laissez la pelle à la maison, car elle détruit aussi les jeunes plants. Allez-y plutôt délicatement, à la main.

> Prenez plutôt des feuilles, avec modération, ce qui ne tuera pas le plant. Une seule feuille par plant, délicatement. Leur goût est excellent.

Source: Biodôme de Montréal