Une exposition de photos à Ottawa sème une véritable controverse. Il faut dire que les photos mettent en scène des enfants dans des événements franchement dérangeants. Le 11 septembre ici, la mort de Lady Di là. Rencontre avec un photographe qui n'a pas dit son dernier mot.

L'exposition s'intitule In the Playroom: dans la salle de jeu. Mais les photos qu'on y trouve n'ont rien de bien joyeux. Normal. C'est le but: montrer que les enfants ne sont pas si innocents. L'omniprésence des médias fait en sorte que rien ne leur échappe. Le monde des grands, dans sa beauté et surtout sa laideur, ils le connaissent.

Dale Smith, petite galerie qui héberge l'exposition, dans le quartier New Edinburgh à Ottawa, n'est pas la plus audacieuse en ville. C'est pourtant sa curatrice qui a eu le coup de foudre pour l'artiste Jonathan Hobin depuis ses débuts, et qui continue, jusqu'au 10 octobre, à exposer ses oeuvres.

Dès la porte ouverte, un léger malaise s'installe. Le regard de tous ces enfants, sur les photos accrochées aux murs, est froid, absent, bref, clairement dérangeant. Ce sont pourtant des mises en scène. Ces enfants aux parents consentants sont déguisés, ils font semblant. Justement, ils font semblant d'être là où on aimerait mieux ne pas les voir: dans une scène de torture à la prison d'Abou Ghraib, pendant le tsunami de 2004 en Asie, lors des attentats du 11 septembre 2001. Non seulement les enfants sont-ils présents, mais ce sont eux qui sont les acteurs. Carrément: un jeune qu'on imagine coréen représente le dictateur Kim Jong-il, une gamine incarnant Michaëlle Jean déguste le coeur d'un phoque.



Médias outrés

Plusieurs médias canadiens et une foule de blogues ont sans surprise été outrés par ces mises en scène. Le magazine Maclean's a même interrogé les parents de différents enfants photographiés, pour déterminer si, oui ou non, ils avaient été traumatisés. «C'est ridicule, rétorque l'artiste. Je me doutais que les gens auraient un petit problème avec certaines photos. Mais à ce point?» Selon lui, ses mises en scène ne sont pas plus traumatisantes pour les jeunes modèles que ne peut l'être un film d'horreur pour un jeune acteur. «On explique aux enfants dans des mots qu'ils peuvent comprendre, les parents sont toujours présents et on s'assure toujours qu'ils aient du plaisir!» Car quel enfant n'aime pas se déguiser, faire des jeux de rôle et être le centre de l'attention? se demande-t-il, un brin exaspéré. «Et quand les critiques réalisent que les enfants se sont en fait amusés, ils sont doublement outrés!»

Le scandale est ailleurs

Selon Jonathan Hobin, le vrai scandale est ailleurs. Le vrai scandale, ce sont les images, dit-il. «Il faut reconnaître que l'enfance n'est pas qu'un monde d'innocence. Il y a aussi des côtés sombres à l'enfance. Mon travail cherche à reconnaître ce côté sombre.» Selon lui, les enfants sont très conscients de tous les événements illustrés dans l'expo: à différents degrés, ils savent qu'ils se sont déroulés. Comment pourraient-ils faire autrement? «Ils entendent partout parler de ces événements, parce que tout le monde en parle!»

Lors de la séance de photos mettant en scène le 11 septembre, un des gamins, âgé de 4 ou 5 ans à l'époque, a d'ailleurs lancé: «C'est l'avion qui a frappé les tours.» Sa mère est encore soufflée par son commentaire.

Jonathan Hobin espère continuer d'exposer ses oeuvres, partout au Canada, et pourquoi pas outre-mer. «Je fais de l'art qui n'est pas élitiste, conclut-il. Du coup, il parle à tout le monde.»

In the Playroom, exposition signée Jonathan Hobin, à la galerie Dale Smith à Ottawa, jusqu'au 10 octobre.

Photo: fournie par Jonathan Hobin

La prison d'Abou Ghraib, de l'exposition In the Playroom,