Le travail des enfants, c'est de jouer, de développer leurs habiletés. Ça, c'est ce que pensent les psychologues, les éducateurs. Mais pas certains parents, qui ne laissent pas une seconde de répit à leur progéniture. Les petits sont trop occupés à la garderie pour aller jouer dehors? Bravo. Il y a tellement d'activités à faire que Junior ne prend jamais de vacances? Fantastique. Katia Gagnon se penche sur ces garderies de la performance. 

Jessica a deux ans et demi, de belles joues rondes et les cheveux fins d'un bébé. Elle ne parle pas beaucoup et marche encore d'un pas hésitant. Cet avant-midi, à la garderie, Jessica a eu une leçon sur les formes géométriques. Elle a appris ce qu'est un cercle. Puis, sagement assise à une table, elle a colorié, sur une feuille blanche, un grand cercle blanc.Jessica est assise non loin de Jules, un adorable petit garçon blond qui a presque 3 ans. Jules sait déjà compter jusqu'à 100. Demandez-lui de vous nommer un chiffre entre 95 et 100 et il s'exécutera sans hésitation.

En fait, Jessica et Jules, deux enfants dont nous avons changé les noms, ne vont pas à la garderie. Sur l'enseigne de la maternelle Enfants des neiges, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, c'est bien écrit: «établissement préscolaire». Et c'est exactement ça: une école pour les tout-petits.

Une école qui coûte, si l'enfant y reste toute la journée, la somme de 46$ par jour, soit 8534$ pour toute l'année scolaire.

Pré-lecture à 2 ans

De deux ans et demi à 6 ans, les enfants qui assistent aux «classes» sont préparés avec soin pour leur entrée à l'école. À leur arrivée en première année dans les meilleurs écoles privées de Montréal, ou alors dans les programmes internationaux les plus sélectifs des écoles publiques, ils savent souvent déjà lire.

«L'année dernière, on a eu un petit garçon qui lisait couramment à la fin de la maternelle. Il consultait les encyclopédies, les livres de référence. C'était un petit génie», dit Anne Delarue, directrice de la maternelle Enfant des neiges.

Et ces capacités, même chez les enfants moins spectaculairement doués, sont cultivées depuis le tout jeune âge dans l'établissement. Voyons le programme du groupe des «petits», 17 enfants âgés de 2 à 4 ans. Pré-écriture, pré-lecture depuis l'âge de 2 ans. Sciences naturelles. Apprentissage d'une soixantaine de textes durant l'année, chansons, comptines et poèmes de Jacques Prévert.

Juliette, 4 ans, a bien appris son texte cette semaine. «Un petit bonhomme, assis sur une pomme. La pomme dégringole, le bonhomme s'envole, sur le toit de l'école», récite-t-elle avec une série de petits gestes à l'intention de la journaliste.

Prêts pour l'école

«Nous faisons toutes les activités avec la perspective de leur apprendre quelque chose pour qu'ils soient en mesure de faire face aux défis de la grande école», dit Lucie Vincent, qui a la charge, avec son mari, Raffi Baghdjian, de la classe des 17 «petits» âgés de 2 à 4 ans.

Pourquoi scolariser les enfants si tôt? «Ils sont là, devant nous, et ils ont une capacité d'apprendre. C'est désolant de ne pas leur apprendre des choses. On veut faire quelque chose de bien avec eux», explique Mme Vincent.

Quand ils quittent la classe de Lucie Vincent pour passer à la maternelle, le programme devient encore plus exigeant. Surtout pour les enfants qui iront passer le test d'admission à l'École internationale de la Commission scolaire de Montréal, qui a l'examen le plus difficile de tous les établissements, témoigne Anne Delarue. «Si, en début d'année, les parents me disent: "On veut qu'il passe le concours de l'École internationale", on sait qu'on ne va pas le lâcher», dit-elle.

En fin d'année, les enfants qui passeront ces tests font même des «simulations» afin de bien faire face à la pression de l'examen. «Depuis quelques années, comme l'examen est très difficile, on prend ces enfants à part dans une petite pièce et on recrée les conditions de l'examen. Ils ont des feuilles devant eux et ils doivent se débrouiller», explique Mme Delarue.

Guylaine Cormier, qui a été directrice de l'École internationale pendant six ans, n'en revient pas. «Ça n'a pas d'allure!» s'est-elle exclamée quand La Presse l'a jointe pour avoir une réaction à ces exercices de «préparation». «Moi, comme pédagogue, je vous dirais que ça ne donne rien de faire ça. Ce n'est vraiment pas une nécessité pour être admis à l'école.»

Pas de chamailleries

La maternelle Enfants des neiges diffère sur d'autres plans des centres de la petite enfance. «Il y a beaucoup plus d'encadrement ici. On est plus sévères. Les enfants ne courent pas, ils ne crient pas. Bien sûr, il y a une période de jeux libres. Mais il n'y a pas de batailles ici. Pas de chamailleries. Ça ne se fait pas», dit Lucie Vincent.

Les enfants sont ainsi entraînés à dire «merci madame», à s'asseoir sagement les jambes pliées et à manger leur collation proprement. «Récemment, j'ai entendu une petite fille dire à sa mère: maman, enlève ma suce. Je ne veux pas que Mme Vincent me voie comme ça», raconte l'enseignante.

Tout le monde s'émerveille, ce matin, devant la place nette d'une petite fille qui a mangé son épi de blé d'Inde sans en échapper le moindre grain. Une fois sa collation terminée, elle a soigneusement enveloppé l'épi dans son papier cellophane et l'a jeté aux poubelles.

La jolie petite fille à la place bien nette n'a pas 4 ans.