Portés par l'intérêt grandissant des hommes pour la mode et par l'engouement envers la consommation locale, des designers et des entreprises d'ici se lancent dans la mode locale pour hommes. Un marché difficile à percer, un domaine difficile à rentabiliser, mais certains sont déterminés à s'imposer... et même à conquérir le monde.

«J'ai vraiment l'intention de conquérir le monde»

« J'ai trois enfants. Je suis écoeuré d'acheter de la cochonnerie pas chère faite par des enfants. C'est aussi vulgaire que ça. Je suis écoeuré, j'en ai plein le cul. »

Quand il s'exprime, Marc Lessard n'y va pas par quatre chemins.

« Tout le monde a 40 t-shirts dans ses tiroirs, mais met toujours les deux ou trois mêmes, poursuit-il. On a tous trop de vêtements. Et 1 dollar investi par un Québécois dans un produit québécois peut en rapporter jusqu'à 20 à l'État. Il faut juste que le monde le sache. »

Parce qu'il en a marre des habitudes de consommation des Occidentaux, mais aussi parce qu'il a rencontré un partenaire prêt à faire le saut avec lui, Marc Lessard a lancé il y a un an à peine Bougaricci, une gamme de vêtements entièrement faite au Québec, du tissage (à Montréal) à l'assemblage (en Beauce et à Valleyfield). Très présent sur Twitter et Facebook, Master Bougaricci - alias Marc Lessard - est en train de se tailler une place de choix dans les médias sociaux.

S'il produit depuis peu des vêtements pour femme, c'est d'abord au marché masculin que Marc Lessard (designer des vêtements) s'est attaqué (« j'avais l'occasion de me faire la garde-robe de ma vie »). Il offre des morceaux pour homme classiques, de type streetwear: t-shirts, camisoles, chandails à manches longues, cotons ouatés. Les clients peuvent venir personnaliser les morceaux à son atelier-boutique de Valleyfield, où nous l'avons rencontré cette semaine.

« Je prends des cotons peignés, explique-t-il, des cotons haut de gamme. Prada, Givenchy prennent ces esti de cotons-là et vendent des t-shirts à 200 $. Moi, je vends les miens 60 $. Je suis au minimum de mon mark-up pour faire des sous, mais au maximum de la qualité dans ce que je fais. Je pense que les gens manquent d'éducation, là-dessus. »

Marc Lessard, qui se qualifie comme le « Fred Pellerin des PME », n'a pas peur de ses ambitions.

« Local is international. J'ai vraiment l'intention de conquérir le monde », dit l'homme de 41 ans, qui a laissé tomber le domaine de la construction (et un salaire de 150 000 $ par année) pour se lancer dans « la guenille », pour reprendre ses mots.

La demande est telle, dit-il, que son partenaire et lui viennent d'acheter une bâtisse de 3200 pi2 à Valleyfield pour y installer l'atelier-boutique. Il travaille également sur un projet de téléréalité destiné à promouvoir les artisans d'ici.

Made in Québec

C'est connu: l'homme prend de plus en plus soin de lui et son intérêt pour la mode est grandissant. Au lieu de se limiter aux grandes marques, il fait de plus en plus de recherche pour son habillement, constate Harry Drakopoulos, propriétaire de la boutique Off The Hook, rue Sainte-Catherine Ouest.

Cet intérêt croissant incite des designers et entreprises d'ici à se lancer dans la mode masculine. Et parmi elles, certaines font le choix de faire fabriquer leurs vêtements dans les manufactures du Québec. Pour mieux contrôler la production et la qualité, pour faire de plus petites quantités, et, évidemment, pour le côté éthique et environnemental de l'affaire.

« Qu'on le veuille ou non, avec les États-Unis qui poussent beaucoup le Made in America, ça a beaucoup d'influence sur nous, note Harry Drakopoulos. Depuis cinq ans, on voit de plus en plus de «Fait au Canada., surtout à Toronto, mais Montréal s'en vient. » Off The Hook tient Naked & Famous, Ringleaders et Manheight Co, des marques faites au Québec.

Les marques faites au Canada occupent 80 % de la boutique pour hommes Bon Vivant, qui fait des affaires rue Rachel, à Montréal, depuis 2010. Le propriétaire, Jean Mat Vincent, y présente en outre sa collection à lui, Bon Vivant, de type menswear: des chemises et des pantalons aux coupes ajustées, faites au Québec, avec des matériaux de qualité.

Jean Mat Vincent constate dans sa clientèle des habitudes de consommation de plus en plus responsables. « En six ans, je l'ai vu, le mouvement, dit-il. Chaque année, les gens achètent peut-être un peu moins de morceaux, mais de meilleure qualité pour qu'ils durent plus longtemps. »

N'empêche, dit-il, pour un designer, ce n'est pas nécessairement facile de faire faire ses vêtements au Québec.

« Des manufactures, il n'y en a pas 350, souligne Jean Mat Vincent. Quand on fait ses vêtements ici, il y a vraiment un côté éthique derrière ça... Il faut le faire parce qu'on le veut. »

Harry Drakopoulos opine. « Les manufacturiers ne se parlent pas et ne sont pas rassemblés. Il y a un gars qui fait des boutons, l'autre qui fait autre chose... »

C'est sans compter le fait que, pour faire du profit, il faut vendre les vêtements faits ici un peu plus cher et qu'en période de solde, la marge de profit fond comme neige au soleil.

Même s'il est conscient de ces impératifs financiers, Marc Lessard est déterminé à faire de son entreprise un succès retentissant. « Parce que j'y crois vraiment et que je ne suis personne, dit-il. J'ai la conviction d'avoir la science infuse absolue. »

Magasin général... en ligne

À la suite de son passage à l'émission Dans l'oeil du dragon, Raphaël Ricard, fondateur et copropriétaire de C'est beau Handwork, a lancé ces derniers jours une nouvelle plateforme web de son magasin général en ligne. Au menu: des objets d'artisans du Québec et une nouvelle collection de vêtements « C'est beau », dont les pantoufles, les tuques et les chemises sont faites au Québec. « Les gens sont de plus en plus conscientisés et veulent savoir d'où proviennent les choses qu'ils consomment, dit Raphaël Ricard. C'est important d'ajouter une histoire à ça, pas juste de faire de la guenille pour faire de la guenille et essayer de la vendre le moins cher possible. »

L'homme québécois: magasineur pratique et économe?

Pendant que des entreprises et des designers se lancent dans la mode locale pour hommes, d'autres se résolvent à fermer boutique ou à cesser de produire leur collection pour hommes. Plusieurs s'entendent: le marché de la mode locale demeure difficile.

Le mois prochain, Lise-Marie Cayer mettra la clé sous la porte de sa boutique LMCA, avenue du Mont-Royal, où elle présentait en outre sa collection Voyou, pour hommes et femmes.

L'avenue du Mont-Royal est désormais tranquille, dit-elle. Et les gens achètent en solde. « Les nouvelles collections sortent, les gens attendent les soldes, et les marges de profit diminuent beaucoup, constate la jeune designer. Je travaillais fort, mais j'avais l'impression de travailler dans le vide. »

En 2013, les hommes en quête de vêtements locaux ont perdu une autre boutique de l'avenue du Mont-Royal: l'Appartement boutique, destinée aux hommes uniquement.

La fermeture de la boutique LMCA sonne le glas des collections saisonnières de Voyou et de Blank. Blank continue sa production, mais se concentre désormais sur ses modèles de base, vendus surtout en ligne: t-shirts, chandails, cotons ouatés...

Lise-Marie Cayer garde pour sa part son entreprise Voyou, mais fera désormais des vêtements sur mesure et abordables en se basant sur les modèles existants de Voyou.

Certes, dit-elle, des hommes prennent plaisir à magasiner. N'empêche, une bonne part d'entre eux ne veut pas se casser la tête lorsque vient le temps de s'habiller.

« L'homme va par exemple chez Simons où il peut tout trouver: ses sous-vêtements, ses vêtements de week-end, ses vestons pour aller travailler la semaine... Il aimerait bien ça, être un homme de principe, mais ce n'en est pas un. L'homme est une personne pratique. »

Moins prêts à payer?

Les hommes semblent aussi moins enclins que les femmes à acheter des vêtements québécois à plein prix, constate Kristelle Mercier, designer et copropriétaire de la boutique Les Coureurs de jupons, rue Masson, qui se spécialise dans la mode éthique.

« Ils ne sont pas encore prêts, pour la plupart, à payer la différence pour des vêtements faits au Québec. Et dans le monde de la mode québécoise, une fois qu'on met des choses en rabais, on ne fait plus d'argent avec. »

Kristelle Mercier souligne que, parmi les designers qui ont tenté leur chance dans l'homme, certains ont arrêté d'en faire parce qu'ils perdaient au change. Elle nous montre dans la petite section réservée aux hommes les chandails de Breed Knitting, qui vient de cesser de produire, et les chemises de la marque Meemoza, qui hésite à maintenir sa gamme pour homme.

Peu de boutiques présentent les collections locales pour homme, constate la designer Anne-Marie Laflamme, copropriétaire d'Atelier B, dans le Mile End. Les collections simples et épurées d'Atelier B sont distribuées dans une trentaine de boutiques, mais seules trois ou quatre d'entre elles proposent la collection pour homme.

« Les boutiques de vêtements pour homme vont souvent aller chercher des grosses marques pour s'assurer une reconnaissance en partant et sont un peu plus frileuses envers les petites marques indépendantes, dit Anne-Marie Laflamme. C'est difficile de percer avec des moyens marketing plus réduits. »

Kristelle Mercier, Lise-Marie Cayer et Anne-Marie Laflamme s'entendent: une fois conquis, l'homme est un client fidèle, pas compliqué et agréable à servir.