«Cinq minutes, pas plus.» La jeune Allemande pressée qui concède une interview entre deux portants à vêtements n'est ni top model ni styliste vedette, mais blogueuse, une activité qui conjugue désormais amour de la mode et chiffre d'affaires conséquent.

Mary Scherpe, 28 ans, robe vert sombre et sautoirs dorés, a l'emploi du temps et l'autorité d'une star de la Semaine de la mode, qui fait vivre Berlin jusqu'au 22 janvier au rythme des défilés et des salons de prêt-à-porter. Son blogue «Stil in Berlin» est l'un des plus importants de ceux consacrés à la mode en Allemagne, avec jusqu'à 6000 visites par jour.

La grande brune, qui arbore les immenses montures de lunettes de rigueur chez certaines «fashionistas», raconte à l'AFP ses débuts, lorsqu'il y a cinq ans elle a commencé à publier sur internet des photos de passantes et passants au look jugé intéressant.

Aujourd'hui, elle vit de son site et a même embauché trois personnes, grâce à la vente d'espaces publicitaires. La photographe est également sollicitée par des magazines ou pour des publicités.

Le secret de la réussite? Ne pas jouer «les vaches à lait», selon l'expression de cette native de l'ex-RDA, qui organisait mercredi un atelier consacré à la professionnalisation des blogs.

Une «vache à lait», c'est pour Mary Scherpe un blogueur qui, tout heureux de recevoir des cadeaux ou des invitations de ses marques préférées, en fait grand cas sur internet. Sans toucher un sou.

Elle réclame que les blogies «accèdent au statut de publication, quand il y a un gros travail derrière».

C'est chose faite depuis longtemps pour celui de l'Américain Scott Schuman, «The Sartorialist», considéré comme «le» blog de mode, ou pour celui de la Française Garance Doré, sa compagne dans la vie.

«Le phénomène du blog de mode n'a pas connu en Allemagne le même départ spectaculaire qu'en Scandinavie ou en France. Mais depuis quatre ans, il y a un rattrapage», estime Heiko Hebig, responsable du département recherche et développement de l'éditeur Burda qui publie notamment la version allemande de «Elle».

Burda s'est associé dès avril 2007 au blog de mode le plus influent dans l'Allemagne d'aujourd'hui, «Lesmads» (plus de 600 000 visites par mois), et publie un livre inspiré du site, présenté dans le cadre de la Fashion Week.

L'éditeur a embauché les deux créatrices de ce blog et fourni «le support technique, tout en restant à l'arrière-plan», raconte M. Hebig. Histoire de ne pas effrayer le monde d'internet avec l'image parfois poussiéreuse d'une maison d'édition traditionnelle.

Burda a par ailleurs investi dans une régie publicitaire spécialisée avec laquelle Mary Scherpe collabore. Et ce bien que la blogueuse et l'éditeur se soient affrontés devant les tribunaux après la publication sauvage de clichés de la jeune Berlinoise.

Professionnalisation serait-il synonyme de compromission?

En France, l'apparition d'une blogueuse sur les publicités d'un fabricant de prêt-à-porter a provoqué un vif débat sur l'indépendance de ce type de «publication».

«Il est évident qu'à partir du moment où un blogueur accepte de la publicité, il y a une dépendance qui se crée», reconnaît M. Hebig.

«Ce qu'il faut, c'est séparer clairement les genres, en signalant le contenu publicitaire», plaide Mary Scherpe, visiblement agacée par cette polémique.

«Si j'étais journaliste de mode dans un magazine, le chef de la pub viendrait forcément faire pression pour ne pas contrarier tel ou tel annonceur», assure-t-elle. «Dans les magazines féminins, il n'y a souvent aucune critique. Alors comment les blogueurs pourraient-ils faire preuve d'esprit critique, puisqu'ils n'ont aucun exemple sous les yeux?».