Il a fallu attendre ces dernières années pour voir évoluer l'offre de vêtements «tailles plus» destinés aux femmes. S'habiller tendance en 14 ans et plus relève désormais moins du challenge que par le passé. Tour d'horizon d'un marché qui prend son élan.

Près d'un tiers des Canadiennes se conforme morphologiquement à la catégorie «taille plus». Ces femmes, donc, ne se retrouvent pas dans l'image de ces beautés aux confins de l'anorexie qui font largement la couverture des magazines. Anne Darche, spécialiste des tendances de consommation, trouve deux raisons à ce paradoxe: «Les tailles plus sont sous-représentées aussi dans la publicité. Je vois deux raisons à cela. D'une part, les créatifs sont majoritairement de jeunes hommes blancs de moins de 30 ans qui affirment leur vision personnelle, et d'autre part, femmes et hommes partagent le même symptôme: personne ne se voit jamais réellement comme il est!»

Le même problème se pose dans les boutiques branchées du Québec: rares sont celles qui proposent un rayon répondant à la demande des tailles plus. Cependant, depuis six ou sept ans, les choses commencent à changer. Ashley Graham est une pure beauté qui porte du 16 ans. Top modèle d'origine américaine devenue égérie de la griffe Addition Elle, le mannequin explique: «De mon point vue, les choses sont en train de changer de manière positive. Avant, une fois par an seulement, une mannequin «forte» faisait la couverture d'un magazine renommé. Aujourd'hui, je peux vous affirmer que je travaille autant qu'une fille «standard». Catalogues, publicités télé, pas un jour de pause».

Les griffes Addition Elle et Laura Plus (branche de Laura Canada), investies dans cette évolution des moeurs commerciales, se montrent très actives pour déghettoïser les femmes qui ont davantage de formes. «Nous désirons coller au maximum aux tendances vues sur les défilés, explique Roxane Liboiron, directrice marketing d'Addition Elle. Reste qu'il existe des contraintes techniques. Il ne suffit pas de faire de simples extensions aux vêtements de tailles régulières, il est indispensable de créer spécifiquement pour notre clientèle. Comment? En repensant de pied en cap toutes les proportions.»

Quelques exemples maison: les coupes de pantalon allant du slim (étroit) au versatile (taille adaptable parce qu'élastique) se déclinent dans les nuances de saison (palette de couleurs «agrumes», mais aussi dans les tons de bleu); les robes sont agrémentées de blocs de couleurs; la lingerie prend des teintes de turquoise...

Du côté de Laura Plus, Cathya Attar, directrice des relations publiques (pour le Canada) explique que la marque propose les mêmes coupes pour toutes les silhouettes. «La seule différence entre les vêtements de Laura et ceux de Laura Plus, c'est le travail sur les matières. On va favoriser les tissus plus «rigides» afin de magnifier les formes généreuses». On trouve ainsi dans le catalogue une jupe ligne A (droite et en dessous du genou), des robes fleuries - avec des imprimés parfaitement d'actualité -, un tailleur-pantalon écru chic et, particularité de la griffe, des robes de soirée à bandelettes à l'élégance minimaliste.

La fin des «complexes» ?

Pour celles qui auraient encore quelque «complexe» concernant leur apparence, Ashley Graham raconte: «Longtemps, le terme mannequin «taille plus» m'a embarrassée, mais il fallait bien vivre avec. Désormais, je suis en paix avec moi-même en étant devenue l'ambassadrice de millions de femmes dans le monde, par les marques qui ont fait de moi leur emblème. La beauté peut enfin prendre toutes les formes! Néanmoins, je déplore de ne pouvoir trouver chez quasiment toutes les grandes marques de luxe, de Balmain à Balenciaga, des modèles qui me sont adaptés. Je prie pour qu'un jour ce soit le cas!»

Si, au fil du temps, l'industrie et l'artisanat de la mode paraissent plus enclins à satisfaire la demande d'un tiers de la population féminine, ce n'est pas encore le nirvana. «Lorsque la parution américaine Plus Model Magazine a fait poser nue, au début de l'année, le modèle Katya Zharkova (28 ans, taille 12 ans), enlaçant une jeune femme mannequin qui semblait du coup sous l'éteignoir, ce fut un excellent coup d'image en forme de provocation», analyse encore la consultante Anne Darche.

On peut facilement imaginer que c'est peut-être à ce prix que le panorama des mentalités finira par évoluer.