Petite révolution dans le monde de l'édition: après Glamour, Elle, Châtelaine, Brigitte, et quelques autres, voilà que le magazine V présente dans son dernier numéro des femmes rondes, et surtout très fières de l'être. Oui madame, en une, par-dessus le marché. Est-ce la fin du culte de la maigreur ou un formidable coup publicitaire? Mais surtout: les vraies femmes se reconnaîtront-elles davantage? Pas sûr ...

Les magazines ne cessent de nous surprendre ces jours-ci. Après avoir habitué leur lectorat pendant près de 20 ans à des mannequins toutes plus filiformes les unes que les autres, ils osent tout à coup les formes.

 

Ce fut le cas, d'abord, en septembre, avec Glamour, dont une petite photo a suscité de vives, très vives, réactions. La mannequin Lizz Miller, assise, nue, révélait scandale! un petit ventre tombant. Le magazine, qui n'a pas habitué ses lectrices à ce genre d'image non retouchée, a été inondé de commentaires... positifs: «Enfin, une fille qui me ressemble!»

Deux mois plus tard, rebelote: Glamour publie une photo sur plusieurs colonnes de femmes nues, toutes des mannequins de taille 14 ou plus. Des filles avec des seins, des hanches, même des cuisses. Des femmes, quoi. Magnifiques, de surcroît. Invitée à l'émission d'Ellen DeGeneres, l'éditrice du magazine, Cindi Leive, s'est publiquement engagée à «présenter plus de diversité» dans ses pages.

Comme dans Brigitte, Elle et Châtelaine, on devrait s'attendre à voir moins de maigreur ou, du moins, davantage de diversité, de couleur et surtout de chair dans les pages du magazine. Et d'autres, visiblement, emboîtent le pas. V, le dernier en lice, présente ainsi dans les pages de son plus récent numéro des femmes rondes, souvent en petite tenue, torse nu, avec leurs poignées d'amour et leurs cuisses charnues bien en vue, respirant la santé, certes, mais surtout, la sensualité.

«Oui, quelque chose se passe en ce moment; ça n'est pas un mouvement organisé, mais cela a un effet boule de neige», analyse Sophie Banford, rédactrice en chef des pages Art de vivre du magazine Châtelaine.

Vrai, les magazines veulent vendre, et cherchent ici certainement à attirer des curieux en provoquant de la sorte, reconnaît-elle. «Mais je pense que les filles se réveillent, elles en ont assez de n'avoir que des modèles extra minces.» Car outre le déferlement de courriels au magazine Glamour, de plus en plus, en effet, sont dénoncées publiquement les dérives des excès du culte de la minceur. En témoignent, entre autres, la Chartre québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée ou l'autobiographie de la mannequin Chrystal Renn, Hunger, dont les propos ont été repris partout, notamment dans les pages du Elle Québec, récemment.

La sociologue de la mode Françoise Dulac a rédigé sa thèse de doctorat sur la question de la mode, de la société et de l'apparence. Selon elle, le simple fait de parler autant de cette question, «c'est comme planter une graine. On ne voit pas tout de suite les résultats. Mais on assiste peut-être à un changement d'orientation et de pensée», dit-elle. Après l'extrême maigreur, l'extrême rondeur? «C'est la théorie du balancier, peut-être que cela va amener un certain équilibre.» Y croit-elle vraiment? «Je l'espère fortement!»

Rondes, mais «photoshoppées»

N'y comptez pas, rétorque la designer Marie Saint-Pierre, dont les mannequins sont toujours filiformes («parce que le vêtement d'un créateur tombe alors de manière impeccable») même si sa clientèle, elle, a typiquement des formes («mes clientes font du 10, du 12, du 14»). Car même ici, «on n'est pas dans des corps normaux. On est dans des corps travaillés, souligne la designer. Probablement que toutes ces photos ont été manipulées. On est dans une ère de manipulation des images. Et les gens se sont habitués à cet esthétisme léché. Je ne sais pas si on peut changer ça.»

Du coup, les femmes véritablement rondes risquent de ne pas s'identifier davantage à ces mannequins plus «sains». «D'un côté, c'est très bien de montrer des filles de toutes les tailles, commente aussi Esther Rothblum, professeure d'études féministes à l'Université de San Diego et l'une des auteures du collectif The Fat Studies. Mais entendons-nous, ce ne sont pas vraiment des modèles très gros...» Applaudissons néanmoins, ajoute-t-elle, la rare diffusion d'images de femmes rondes souriantes, fières et bien dans leur peau.

À ce propos, n'est-ce pas étrange que ces mannequins plus charnus soient si souvent dénudés, s'interroge la publicitaire Anne Darche: «La mode semble apprécier les anorexiques habillées, mais les rondes appétissantes, moins vêtues...» note-t-elle. Très sensuelles, sexuelles même, leurs poses sont aussi très travaillées, artistiques. Du coup, elles semblent moins appartenir «au monde de la mode, mais plutôt à celui de l'art».

Des idées tenaces

«C'est ridicule, enchaîne la journaliste féministe Geneviève Saint-Germain. C'est comme si on disait que la grosse n'est pas habillable, alors mettons-la donc toute nue, pour en faire un tableau Renaissance.» Fini, le culte de la maigreur? Elle n'y croit pas du tout. «Ça ne peut qu'être une tendance très fugace, tranche-t-elle. Depuis que la mode est mode, des toutounes, il n'y en n'a pas!» Celle qui signe régulièrement des textes dans les pages de Châtelaine le sait bien: même si les femmes affirment vouloir davantage de diversité dans les magazines, dans les faits, les rondeurs ne vendent pas davantage. «Acheter un magazine, c'est acheter une part de rêve, de glamour auquel on n'a pas accès. Et malheureusement, dans notre société, une ronde, ça ne fait pas rêver.» À preuve: le site de rencontre BeautifulPeople.com a renvoyé plus de 5000 membres de sa communauté virtuelle qui avaient pris du poids pendant les Fêtes. Out, les gros.

Et même si les mannequins dont il est ici question sont plus rondes que la moyenne (des mannequins), poursuit-elle, elles demeurent par ailleurs d'une beauté sublime. «On est dans une société où l'on s'imagine que tout est accessible. Mais je m'excuse: certaines femmes sont d'une beauté extraordinaire, et dans la vraie vie, il n'y en a pas tant que ça, de très belles filles!»

Bref: faites-vous à l'idée, les vraies filles dans les magazines, ça n'est pas pour demain matin...