Interdite dans plusieurs provinces canadiennes et États américains, la piscipédicurie continue malgré tout d'attirer les curieux au Québec. Du coup, des dizaines d'audacieux cobayes se font exfolier les pieds chaque semaine par de petits poissons mangeurs de peaux mortes.

La quoi? Piscipédicurie, ou pédicurie aux poissons, une pratique turque, apparemment, qui remonte à la nuit des temps.

Ces petits poissons, joy fish ou fish doctor en anglais, sont en fait des Garra rufa, une variété de carpe sans dents connue pour son appétit étonnant pour les peaux mortes, justement. Les Turques y ont recours depuis les années 1800 pour soulager psoriasis et eczéma.

 

Depuis peu, les salons de beauté du monde entier les utilisent pour exfolier les pieds en douceur. Partout, que ce soit en Chine, au Japon, en Europe et même ici, ils attirent les curieux, désireux d'essayer cette pratique peu orthodoxe, un brin folklorique, mais dont la notoriété légendaire ne se dément pas.

Le Toronto Star a annoncé en une la semaine dernière que cette technique de pédicurie, interdite en Ontario parce qu'elle est considérée comme dangereuse pour la santé publique, est sinon permise, du moins tolérée au Québec.

«Au Québec, les soins esthétiques ne sont pas réglementés, à l'exception des soins qui nécessitent une intervention chirurgicale, explique Nathalie Lévesque, responsable des communications au ministère de la Santé et des Services sociaux. À ce stade-ci, il n'y a pas de raison d'intervenir. S'il y a des manifestations indésirables, nos experts procéderont à l'analyse de la situation et évalueront la possibilité de réglementer ce soin esthétique en particulier.»

Quelques salons québécois offrent donc ce soin, qui consiste à tremper les pieds du client dans un aquarium pendant une quinzaine de minutes, le temps que les poissons exécutent leur tâche, puis à terminer le travail avec les méthodes habituelles.

«Ces poissons sont exfoliants», explique Tami Chu, copropriétaire du salon Tami Beauté des ongles, avenue Duluth, qui offre le soin depuis un an et demi déjà - l'un des rares salons à le faire avec le spa Dahlia, à Pointe-Claire. «Ils font ça en douceur, en surface, sans frottement, juste avec leur bouche. C'est la nature!»

Ses poissons (elle en a de 200 à 300) viennent de Corée. Elle les a rapportés en avion. «Je me suis renseignée auprès des douaniers et je n'ai pas eu besoin de papiers. Ce sont des poissons tropicaux», dit-elle.

Avant de procéder, quelques mesures d'hygiène s'imposent: l'esthéticienne vérifie toujours les pieds de ses clients pour s'assurer qu'ils n'ont ni plaie ni maladie apparente, afin d'éviter tout risque de contamination. Chaque soir, elle change l'eau de ses deux aquariums. Et elle a acheté le filtre UV «le plus performant sur le marché» pour éliminer les bactéries.

«On ne peut pas changer l'eau entre chaque client, c'est impossible. Sinon je tuerais mes poissons. Alors on fait attention, on fait tout ce qu'on peut.»

Qu'en pensent les dermatologues? «C'est n'importe quoi», dit Pascale Marinier, qui n'a par ailleurs jamais entendu parler de la pratique.

«Je n'ai pas d'opinion professionnelle sur l'utilisation des poissons en esthétique, dit pour sa part Jean-François Tremblay, dermatologue au CHUM, mais personnellement je ne mettrais jamais mes pieds là-dedans!»

Le dermatologue, qui travaille aussi à l'Institut de médecine esthétique du Sanctuaire (Médime), a agi à titre de consultant auprès du Collège des médecins pour le dernier rapport sur la réglementation des médecines esthétiques. Il dénonce le côté un peu «Far West» de l'industrie de l'esthétique. «N'importe qui peut acheter un laser et en faire dans son sous-sol. N'importe qui peut se dire esthéticienne, ouvrir un salon et mettre des pelures d'orange sur le visage des gens», déplore-t-il.