Deux défilés en rafale. Sitôt le premier terminé, deux maquilleuses s'affairent à démaquiller le mannequin. Deux autres entrent ensuite en scène pour la remaquiller. Deux coiffeurs la recoiffent.

Grosse semaine pour les mannequins québécois, qui, en cette Semaine de mode, n'ont pas chômé et ont pu défiler dans leur propre cour, dans des vêtements de chez eux.

 

Dans les coulisses, c'est la ruche, mais cette ruche n'a pas la prétention que l'on suppose à Paris ou à Milan. En leur compagnie, malgré d'esthétiques évidences, on ne se sent pas si pichou, finalement. Comme si, quand la beauté est partout, elle en devenait banale, normale.

Plus encore, sur la passerelle, cette beauté est même parfois mise à mal à la demande de certains designers, qui visent le look «cadavre androgyne», à la grande surprise d'un proche, qui s'attendait à voir là des pétards et non pas de ces hommes sans muscles au teint blafard, limite morts.

Francis Cadieux, âgé de 26 ans, le dit d'emblée: il a eu des contrats, cette semaine, mais il a précisément ce look baraqué qui, de son propre avis, l'éloigne généralement de plusieurs passerelles. «Pour les hommes aussi, les designers préfèrent des corps sans formes. Quand t'es musclé, le vêtement tombe moins bien, selon eux.»

«Vu que je suis musclé, 40% de mon travail consiste à poser pour des sous-vêtements», dit-il.

Côté salarial, il y a claire inversion des rôles. «C'est bien le seul domaine où les femmes gagnent plus que les hommes!» lance Francis Cadieux.

Et les salaires sont moins faramineux qu'on pourrait l'imaginer. «Plus tu poses pour une revue prestigieuse, plus tu dois être mince et moins tu es payée, résume Jessica Jolin, âgée de 24 ans. Les magazines les plus importants ne nous versent souvent pas plus de 250$ par jour.»

Impossible, en pleine Semaine de mode, de passer à côté du débat sur la minceur-maigreur. Une question dépassée, d'outre-Atlantique, disent plusieurs. Pas pour Marie-Josée Trempe, présidente de l'Agence Specs. «Je ne suis pas de celles qui nient que cela se passe aussi, parfois, à Montréal, même si c'est nettement moins marqué qu'en Italie, notamment, où on me dit que l'obsession de la minceur est en train d'atteindre un degré vraiment inquiétant.»

«Ici, on voit un mouvement, poursuit-elle. J'avais des filles qui, il y a deux ans, n'auraient pas été embauchées parce qu'on les jugeait trop galbées. Aujourd'hui, on me les réclame et j'ai des clients qui me disent carrément: «Ne m'envoie pas de filles maigres.» En même temps, ça demeurera toujours une industrie de grandes minces, de grandes échalotes qui étaient la risée de leur classe à l'adolescence.»