Pas besoin d'un oeil bionique pour s'en apercevoir: le logo des Expos est partout.

Promenez-vous sur la rue Sainte-Catherine, vous en verrez à tous les coins de rue. Casquettes, chandails, cotons ouatés, t-shirts, boucles d'oreilles, vitrines de magasins, on en passe. À croire que nos Z'amours sont toujours bien en vie et qu'ils viennent de gagner la Série mondiale.

«Dans la région de Montréal, je constate que mes ventes de casquettes des Expos ont augmenté de 15 à 20% au cours des deux dernières années, affirme Mike Corcoran, représentant au Québec pour la compagnie New Era, qui se spécialise dans les produits dérivés du baseball majeur. Si elles n'ont pas encore dépassé les ventes de casquettes des Yankees de New York, elles ne sont pas loin. C'est simple: j'en vends encore plus aujourd'hui que quand l'équipe était encore là.»

 

Et qui achète ces casquettes? Attention, vous allez être surpris. Selon M.Corcoran, les amateurs de baseball et nostalgiques des Expos ne représenteraient pas plus de 30% de la clientèle.

Le gros du marché se situe désormais dans les milieux de la mode «urbaine», chez les «snowboardeux», les «skateux», et de façon encore plus nette dans la communauté hip-hop, où le logo des Expos est devenu presque aussi banal que le bling bling et les pantalons aux chevilles.

Une petite virée à la boutique City Styles, rue Sainte-Catherine, permet de s'en rendre compte. Spécialisée en vêtements et accessoires de hip-hop, le magasin tient une ligne complète de t-shirts et de casquettes de Expos, qui occupent un mur entier «Aussitôt qu'il en rentre des nouvelles, elles partent tout de suite», confirme Frank, propriétaire de l'établissement: «Je suis sur le bord de me faire une section juste sur les Expos!»

Représenter Montréal

Pour Goofy Welldone, animateur de radio hip-hop, il est clair que le logo des Expos est devenu «un item fashion». On le trouve cool. On le trouve hot. On veut le rocker à la face du monde.

Pourquoi? Pour affirmer sa «montréalité», tout simplement.

Il faut savoir que les logos sportifs ont toujours fait partie de la culture hip-hop. Depuis les années 90, les stars du rap revendiquent leur appartenance territoriale en affichant les couleurs des équipes de leur ville d'origine. Ceux de New York l'ont fait avec les Yankees, ceux de Los Angeles avec les Dodgers, ou encore les Raiders, de la Ligue nationale de football. Idem pour St. Louis, Philadelphie ou Atlanta.

Au Québec, le phénomène est plus récent. Mais il est déjà bien enraciné. Des artistes comme Sans Pression, Imposs, L'Assembleé Peezee, Cobna, Ghislain Poirier, Butta Babees ou Cyrano de Montréal s'affichent régulièrement avec le logo des Expos. Leurs jeunes fans ont emboîté le pas, ce qui a eu pour effet de revigorer un marché qui stagnait «Il y a un peu de nostalgie là-dedans, observe le rappeur Sans Pression en nous montrant ses boucles d'oreilles des Expos. Le fait qu'ils ne sont plus là, ça les rend encore plus hot. Mais c'est surtout pour dire qu'on représente Montréal. Qu'on vient d'ici, qu'on en est fiers.»

Selon Kapois la Mort, historien du rap québécois, ce n'était qu'une question de temps avant que les rappeurs locaux ne récupèrent à leur tour ce symbole montréalais. Le logo des Expos est peut-être moins mythique que celui du Canadien, mais il est plus volontiers relié à la culture hip-hop, traditionnellement associée au baseball.

«Pour les artistes d'ici, c'est une façon de se démarquer du rap américain, explique Kapois. Ç'a été long avant d'arriver chez nous. Mais maintenant que l'identité du rap québécois est forgée, ça fait partie de notre lexique.»

Ce phénomène culturel n'a évidemment pas échappé aux entreprises de produits dérivés, qui ne manquent pas d'exploiter la tendance. Depuis que le cinéaste Spike Lee est apparu en public avec une casquette rouge des Yankees faite sur mesure, New Era multiplie les modèles destinés au marché hip-hop, en surfant sur les modes du moment.

Située sur le boulevard Saint-Laurent, la boutique Sports Logo tient ainsi un mur complet de calottes des Expos à visière droite (série 59fifty), qui n'ont plus rien à voir avec les modèles vintage de Tim Raines, Andre Dawson et Gary Carter. Les produits se déclinent désormais d'une vingtaine de couleurs différentes, allant du noir et or au rouge et noir, en passant par le mauve, le turquoise, le noir sur noir, le vert, le bariolé, le picoté, le look camouflage, etc. Tenez-vous bien: certains modèles se vendent même avec logos de rechange détachables, qui collent sur du velcro!

Cet éventail de choix, qui permet d'assortir la casquette à ses vêtements et à ses chaussures de sport (le hook up en jargon urbain), est un bonus pour les rappeurs, qui peuvent ainsi diversifier leur garde-robe tout en restant fidèles à leur équipe. C'est du flavor, explique Sans Pression en admettant avoir un petit faible pour le noir sur noir. Personnellement, c'est rare que je vais porter du Expos traditionnel. Changer les couleurs, ça donne du vibe»

Preuve que la stratégie fonctionne: New Era compte introduire une vingtaine de nouvelles casquettes des Expos pour leur collection 2010. «Je ne vois pas de plafonnement à court terme», souligne Mike Corocoran, en précisant que les demandes viennent désormais de Vancouver et des Maritimes.

Partis les Expos? Peut-être. Mais toujours vivants dans le coeur des vrais.

Comme le dit si bien Sans Pression: «Il ne seront jamais morts, man...»