Tel un signal d'alarme, la douleur prévient notre organisme du danger. Mais qu'advient-il quand elle s'incruste sans raison pendant des mois, voire des années?

Hiver 2003. Pendant une descente en planche à neige, Jacques Laliberté, âgé de 58 ans, culbute en piste. Une petite chute, rien de grave, pense-t-il. Une semaine plus tard: le cauchemar. Une douleur déchirante apparaît entre ses omoplates. «C'était intolérable, je suis resté alité pendant six mois», raconte-t-il.

On lui a trouvé plusieurs petites hernies cervicales. Après avoir tout essayé de l'acuponcture à la chiropractie , il a accepté de recevoir une péridurale cervicale. «C'était risqué, mais je voulais à tout prix m'en sortir.» Aujourd'hui, il va beaucoup mieux. «Je suis un miraculé», insiste M. Laliberté, président de l'Association québécoise de la douleur chronique (AQDC).

 

D'autres sont moins chanceux. Quinze ans après un accident de voiture, René, 59 ans, souffre toujours de maux de dos. Marie-Christine, 27 ans, a des migraines à répétition depuis l'adolescence. Raymond, 79 ans, est atteint du zona. Lors de crises, il ressent une intense brûlure sous le bras.

Au Québec, 1,2 million d'adultes souffrent de douleur chronique. « Il s'agit d'un problème de santé majeur», affirme Manon Choinière, chercheuse au CHUM et au département d'anesthésiologie de la faculté de médecine de l'Université de Montréal.

«La douleur chronique peut avoir des effets dévastateurs sur les capacités physiques, le sommeil, le travail et les relations interpersonnelles. C'est une maladie souvent mal diagnostiquée et insuffisamment traitée.»

Qu'est-ce que la douleur chronique?

«La douleur est un signal d'alarme. Elle nous avertit d'un danger et informe notre organisme qu'il doit récupérer après une opération ou une blessure, le temps que les tissus se régénèrent», explique la Dre Choinière. On ressent des picotements, une sensation de brûlure, une raideur, une douleur au toucher, une sensation d'électrochoc ou une douleur fulgurante comme un coup de poignard.

La douleur devient chronique quand elle persiste plus de trois à six mois, au-delà du temps normal de guérison. «Elle n'a alors plus de fonction biologique et devient nuisible», précise la spécialiste. Dans les hôpitaux, on évalue son niveau sur une échelle de 0 à 10.

Associée à des maladies comme la sclérose en plaques et la fibromyalgie, la douleur chronique peut aussi survenir après une blessure ou une intervention chirurgicale.

«Si vous vous faites opérer, vous avez 10% de risques de souffrir d'une douleur chronique importante. C'est énorme», indique Serge Marchand, titulaire de la chaire conjointe de physiopathologie de la douleur de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et de l'Université de Sherbrooke.

Dans certains cas, la douleur apparaît sans raison. Un mystère. «Même après une batterie de tests, on n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Mais s'il n'y a pas de lésion ou de signe physique, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de douleur», souligne le Dr Marchand.

Des préjugés

Parce qu'invisible, la douleur chronique est souvent l'objet de préjugés. Même chez les victimes.

«On endure, parce qu'on ne veut pas se faire traiter de plaignard ou de lâche. Plusieurs personnes âgées pensent d'ailleurs que c'est normal de souffrir en vieillissant», fait remarquer le Dr Marchand.

Irène Couture, 58 ans, s'estime chanceuse d'avoir pu compter sur ses proches. En 2000, elle a commencé à ressentir une douleur sourde au bas du dos. En quelques semaines, celle-ci s'est accentuée au point de devenir très aiguë, s'étendant jusqu'au pied gauche.

«Ça a été un choc. J'ai toujours été active et, du jour au lendemain, je ne pouvais plus marcher, ni me lever. J'ai été hospitalisée sans savoir ce que j'avais «, dit-elle au téléphone, qu'elle est incapable de tenir. «Si je prends le combiné, j'ai mal au dos au bout de quelques minutes. «

Après neuf mois d'enfer, les spécialistes ont posé un diagnostic: compression de la moelle épinière et calcification anormale d'un ligament. Elle a dû quitter son emploi d'analyste de systèmes financiers. Après une opération qui n'a pas arrangé les choses, elle s'est résignée à prendre des anticonvulsifs.

«J'ai pu reprendre mes activités. La douleur est toujours là, mais elle est moins intense. C'est un ennemi que je combats chaque jour. J'apprends à vivre avec.»