Pas d'odeur, pas de fumée, pas de mégot. Grâce à la cigarette électronique, les fumeurs peuvent désormais s'adonner à leur vice dans les lieux publics. Sans crainte d'une amende. Au Québec comme ailleurs, où le tabac est persona non grata, la «e-cigarette» gagne en popularité. La «e-pipe» et le «e-cigare» aussi. Moins nocif que la traditionnelle clope? Rien n'est moins sûr.

Mise au point en 2004 en Chine, la cigarette électronique ressemble à une vraie cigarette ou à un stylo. La pression des lèvres actionne un vaporisateur et une lumière LED rouge, tous deux alimentés par une pile rechargeable. Le tabac est remplacé par une cartouche de nicotine dissoute dans du propylène glycol - liquide qui produit la fumée artificielle sur les planchers de danse ! - qu'on aspire directement dans les poumons et qui ressort sous forme de vapeur. Ceci dit, certains cosmétiques, médicaments et additifs alimentaires en contiennent aussi.

«Aussi bien boire du lave-glace pour l'auto», lance le Dr Gaston Ostiguy, pneumologue à l'Institut thoracique de Montréal. L'antigel contenu dans le lave-glace est fait de propylène glycol, précise-t-il. Mais d'autres produits chimiques entreraient peut-être dans la composition de la cigarette électronique. Lesquels ? Pour l'heure, on n'en sait rien. «À ma connaissance, il n'y a pas eu d'études sérieuses sur le produit. Tant qu'on ne sait pas ce qu'on inhale, c'est bien difficile de se prononcer sur la nocivité ou l'innocuité du produit.»

Pourtant, les acheteurs sont déjà nombreux. L'inventeur et plus gros fabricant, Ruyan, aurait vendu 300 000 cigarettes électroniques en 2008 seulement. Les sites de vente en ligne pullulent. On vend aussi la e-cigarette, pour environ 100 $, dans plusieurs pays : du Brésil à la Finlande, en passant par le Liban, Israël, la Turquie et le Canada. «Au Québec, ça ne fait pas longtemps que ça existe. Elle est offerte depuis quelques mois, mais ça va bien», soutient Carole, une distributrice pour le fabricant Inlife.

Les compagnies assurent que la e-cigarette est non cancérogène et que c'est une thérapie de remplacement efficace. En fait, on n'en sait rien. « Prenez votre santé en main et vivez sainement avec la cigarette électronique à vapeur. Obtenez le degré de nicotine nécessaire, sans les ingrédients nocifs de la cigarette traditionnelle», écrit Carole dans sa publicité. Pas de tabac, pas de goudron, pas de formaldéhyde, pas de cyanure, pas de monoxyde de carbone. «On peut fumer sans gêner les autres. Il n'y a pas de fumée secondaire, c'est permis presque partout», dit-elle.

Oui, mais peut-être pas pour longtemps. L'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a émis une première mise en garde en septembre 2008, devrait publier cet automne ses recommandations aux autorités de santé publique. Selon le New Scientist, l'OMS suggérera de rendre illégale l'utilisation de la cigarette électronique dans les lieux publics, jusqu'à ce qu'il y ait des preuves de son innocuité pour les «fumeurs passifs», et recommandera la vente en pharmacie seulement.

À Santé Canada, on s'apprête à classer la cigarette électronique, non pas comme un produit réglementé de cessation tabagique, mais comme une alternative à la cigarette « en raison des risques potentiels qu'elle pose», indique-t-on. Au ministère de la Santé du Québec, on préfère ne pas se prononcer pour le moment.

« On est actuellement dans un flou, tant au niveau législatif qu'au niveau de la santé, indique Mario Bujold, directeur du Conseil québécois sur le tabac et la santé. On ne sait pas si c'est risqué et ça n'a pas été démontré comme une méthode efficace pour arrêter de fumer.»

Via les forums, des utilisateurs se plaignent de toux, vomissements, conjonctivites et allergies. «En attendant des tests, mieux vaut se tourner vers des produits qui ont fait l'objet d'études sérieuses, comme les timbres, les inhalateurs ou les pastilles, si on souhaite arrêter de fumer», conseille le Dr Gaston Ostiguy, directeur de la Clinique de désaccoutumance au tabac du Centre universitaire de santé McGill. Ou on se tourne vers des thérapies ou méthodes éprouvées comme J'arrête (jarrete.qc.ca).

Mario Bujold croit que la e-cigarette n'est qu'un gadget qui passera rapidement de mode. «Si on sort dans un endroit où il est interdit de fumer, ça peut dépanner. Mais je ne suis pas convaincu que les fumeurs apprécieront.» On peut tirer jusqu'à 300 bouffées par cartouche, mais chaque bouffée contient tout au plus le tiers de la nicotine d'une bouffée de cigarette normale. « Ils devront fumer davantage pour obtenir leur dose et ce, sans les sensations habituelles souvent liées à la dépendance psychologique. C'est un gadget dispendieux qui risque de ne pas fonctionner. Les seuls gagnants sont les vendeurs qui ont flairé la bonne affaire !»