Les pauvres sont 85% plus susceptibles que les riches d'être hospitalisés pour une dépression, selon une nouvelle étude.

L'étude de l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) visait à confirmer de nombreuses études sur le sujet, et à vérifier si les dépressions sont plus sévères et plus longues chez les pauvres. Ce n'est pas le cas: la durée de leurs hospitalisations pour dépression est semblable, tout comme leur taux de réhospitalisation.

« Nous avons vérifier avec de nombreux facteurs confondants, comme l'abus de drogue, l'âge ou le sexe, et la pauvreté semble vraiment avoir un impact direct sur le risque de dépression », explique Ian Joiner, gestionnaire du secteur de la santé mentale à l'Institut, un organisme fédéral. « Nous allons maintenant pousser un peu plus loin l'analyse avec des données ontariennes plus détaillées, qui nous permettrons notamment de confirmer que les dépressions des pauvres ne sont pas plus sévères. »

L'étude publiée mardi comprenait les hôpitaux de 13 villes canadiennes -aucun n'était situé au Québec- pour un échantillon total de 8,5 millions de personnes âgées de 15 à 64 ans. Le revenu était évalué quartier par quartier, en fonction de la résidence du patient. L'échantillon était divisé en cinq quintiles, les pauvres étant les 20% du bas et les riches celui du haut.

La raison pour laquelle la pauvreté augmente le risque de dépression est mal connue. Selon Jean Caron, responsable de la chaire canadienne en épidémiologie de la santé mentale à l'Institut Douglas, il existe quatre hypothèses. « Il y a une explication darwiniste qui n'a jamais été vérifiée ou infirmée, mais qui est peu probable: que les pauvres ont des lacunes qui expliquent à la foi leur pauvreté et leur dépression. Deuxièmement, il y a l'hypothèse de la dérive sociale, qui semble s'appliquer à la psychose et la schizophrénie mais pas à la dépression: après leur première hospitalisation psychiatrique, les gens perdent leur emploi et leur organisation sociale. On peut aussi considérer qu'il s'agit d'un manque d'argent qui aggrave la maladie, faute de traitements. Enfin, on peut appliquer une théorie du mécanisme des troubles mentaux, le modèle « stress, coping et soutien social ». Il est prouvé que les pauvres vivent plus de stress, d'événements de vie comme les décès, les crimes, les pertes d'emploi, les divorces. On peut penser qu'ils ont plus de difficulté avec le coping, parce qu'ils ont en moyenne moins d'éducation, qu'ils ont moins de moyens et de connaissances pour réagir à un stress. Et j'ai prouvé avec une étude à Pointe-Saint-Charles que les pauvres qui ont un soutien social, un réseau de proches et d'amis, qui est semblable aux riches ont une prévalence de dépression comparable à ces derniers. »

L'étude de l'ICIS infirme la théorie du manque d'argent, selon M. Caron, qui a étudié en psychologie et enseigne en psychiatrie. Une dépression plus grave rallonge la durée de l'hospitalisation. Comme l'étude n'a pas vu de différence sur la durée de l'hospitalisation, cela veut dire que la maladie n'était pas plus grave. Pour ce qui est du modèle stress-coping-soutien social, M. Caron note que le soutien social aide à prévenir les rechutes. Comme l'étude de l'ICIS a conclu que le risque de réhospitalisation ne change pas, cela peut signifier que notre système de santé encadre bien les patients après leur sortie de l'hôpital, annulant le risque conféré par le faible soutien social des pauvres.

La dépression en chiffres

L'étude de l'Institut canadien d'information sur la santé montre qu'un Canadien a 1,3 chance sur 1000 d'être hospitalisé pour une dépression durant une année. Si on divise la population en cinq groupes selon leur richesse, les gens de revenu moyen ont 26% plus de risque d'hospitalisation que les plus riches, et les plus pauvres 85% plus de risque que les plus riches. Les femmes ont 47% plus de risque que les hommes. Après une hospitalisation, 7% des patients sont réadmis (encore pour une dépression) dans le mois suivant, et 25% dans l'année suivante. Un patient hospitalisé sur cinq souffre de toxicomanie. La durée de séjour moyenne est de 16 jours, et la moitié des séjours durent moins de 11 jours.

Les personnes âgées aussi vulnérables

Les pauvres ne sont pas les seuls chez qui la dépression est mal identifiée. Les personnes âgées sont aussi plus susceptibles d'être affectés sans que cela soit bien traité.

L'automne dernier, une étude de l'Université McGill publiée dans le Journal canadien de psychiatrie montrait que seulement 20% des personnes âgées atteintes de dépression prenaient des antidépresseurs. Et chez ces patients, seulement le tiers suivaient leur traitement tel qu'indiqué.

Comme la dépression frappe entre 7% et 20% des personnes âgées, cela signifie que des centaines de milliers de Canadiens en souffrent sans être soignés. Les chercheurs montréalais notent toutefois que des somnifères sont parfois prescrits à la place des antidépresseurs, ce qui peut être un traitement approprié vu le sommeil déjà fragile des aînés, qui est empiré par la maladie. L'étude relève aussi que les personnes âgées sont peu susceptibles de consulter un médecin en donnant des symptômes dépressifs comme raison principale, ce qui signifie que leurs médecins de famille doivent être particulièrement attentifs à ces symptômes.