Sperme importé des États-Unis, ovules achetés au Mexique... En interdisant la rémunération des donneurs de gamètes au Canada, plutôt que d'encadrer la pratique, l'État a engendré des conséquences peut-être pires que celles qu'il voulait prévenir. Solution proposée: une banque de sperme québécoise.

La Cour suprême entendra vendredi les procureurs du Québec qui contestent l'intention d'Ottawa de réglementer certains actes liés à la procréation assistée. Le Québec, comme la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick qui se sont joints au recours, estime que les actes réglementés relèvent du domaine de la santé et sont donc de compétence provinciale.

 

La Loi sur la procréation assistée criminalise certains actes, comme le clonage humain, et en réglemente d'autres, comme le remboursement de frais à des donneurs de gamètes (spermatozoïdes et ovules) et aux mères porteuses.

Depuis son entrée en vigueur, toute rémunération à des donneurs de gamètes au Québec a été suspendue. Les donneurs de sperme, par exemple, recevaient une cinquantaine de dollars par don. «Avant 2004, 80% des dons de sperme venaient de donneurs d'ici. Aujourd'hui, plus de 80% des dons sont importés des États-Unis», déplore le Dr François Bissonnette, président de l'Association canadienne de fertilité et d'andrologie et directeur médical à la clinique Ovo.

Mettre fin au «tourisme reproductif»

Une interdiction radicale, couplée avec une absence d'encadrement, a engendré un véritable tourisme reproductif, dit le médecin. Avec les risques qu'il comporte, puisque les règles éthiques ne sont pas partout les même: Le Devoir faisait état lundi d'un donneur de sperme américain ayant engendré plus de 120 enfants aux États-Unis et au Canada.

D'autres agences internationales proposent aux couples infertiles de leur trouver un donneur de gamète dans l'une de leur cliniques au Mexique, en Inde ou en Europe de l'Est. Le profil des donneurs, avec photographies, peut même être consulté par les futurs parents. Ici aussi, en l'absence de règles encadrant le don d'ovules, les cliniques se réglementent elles-mêmes. Certaines ne font que le don anonyme (la receveuse ne peut connaître la donneuse), d'autres permettent qu'une soeur ou une amie fasse un don à celle qui lui demande. D'autres encore ont déjà permis les dons intergénérationels (dons d'une mère à sa fille), une pratique fort critiquée, mais pas interdite.

Le Dr Bissonnette, lui, milite en faveur de la création d'une banque nationale de dons de sperme, gérée par l'État, qui offrirait une compensation aux donneurs tout s'assurant que l'importance de leur descendance soit contrôlée.

«On mène des expérimentations en direct sur une future génération», observe le professeur d'éthique Bernard Keating, de l'Université Laval. Les interdictions ont été adoptées pour éviter la commercialisation du corps humain qui serait une atteinte à la dignité humaine. Mais le professeur se questionne sur les «effets pervers des interdits imposés». «J'en viens à penser qu'il va falloir trouver le moyen de réglementer ce marché et peut-être revenir en arrière.»