La mort de l'actrice Natasha Richardson sur les pentes du mont Tremblant, à la fin de l'hiver, a lancé un débat sur le port du casque en ski. Il y a quelques années, c'est le casque de vélo qui a fait les manchettes au Québec. Le gouvernement avait finalement décidé de ne pas en imposer le port. Récemment, en Australie, où le casque est souvent obligatoire, un statisticien a suscité la controverse en affirmant que le fait d'obliger les cyclistes à le porter a des effets négatifs sur la santé publique.

Les lois qui obligent les cyclistes à porter un casque font plus de tort que de bien. Plusieurs cyclistes cessent de faire du vélo parce qu'ils détestent le casque. Ces ex-cyclistes ont un taux de mortalité plus élevé en raison de l'inactivité, à tel point que la réduction des décès entraînée par le port du casque s'en trouve annulée.

 

Telle est la thèse d'un statisticien australien, qui a analysé dans une étude les coûts et bénéfices des lois obligeant le port du casque dans plusieurs États australiens. Son étude n'a pas encore été publiée, mais elle formalise une hypothèse avancée depuis plusieurs années par des chercheurs opposés à de telles lois. Nuance importante, les critiques précisent qu'un cycliste qui décide de porter un casque diminue certainement ses risques de blessure à la tête; ils s'opposent seulement au fait de rendre le casque obligatoire.

«D'un côté, les casques permettent d'éviter les blessures graves à la tête», explique Piet de Jong, de l'Université Macquarie à Sydney, joint par téléphone. «De l'autre, un certain nombre de cyclistes cessent de faire du vélo et manquent d'exercice. Il y a des incertitudes sur le nombre de blessures évitées par les casques, sur le nombre de personnes qui cessent de faire du vélo et sur les bénéfices du vélo pour la santé. Mais il faut prendre des résultats très extrêmes, par exemple considérer que personne ne cessera de faire du vélo ou alors que les bénéfices du vélo pour la santé sont négligeables, pour qu'une loi obligeant le casque réduise les coûts de santé. Et je ne tiens même pas compte des effets néfastes des trajets supplémentaires en automobile que feront les ex-cyclistes.»

Le statisticien d'origine hollandaise s'appuie en partie sur une étude d'une collègue statisticienne du gouvernement australien, Dorothy Robinson, qui avait mesuré une baisse de popularité du vélo de 20% à 40% après l'entrée en vigueur des lois australiennes. «L'effet positif sur les blessures graves chez les cyclistes qu'on lie souvent à de telles lois est presque uniquement dû à la baisse du nombre de cyclistes», précise en entrevue Mme Robinson, qui a publié son étude dans le British Medical Journal. «Moins de cyclistes, moins d'accidents. Et avec le casque obligatoire, certaines mesures pour promouvoir le vélo deviennent impossibles, par exemple le système Bixi que vous avez à Montréal.»

Une seule autre étude a mesuré rigoureusement l'effet de telles lois sur le nombre de cyclistes. Elle a été publiée en 2002 dans la revue Pediatrics par une épidémiologiste torontoise, Alison Macpherson, de l'Université York. En Ontario, les enfants doivent porter un casque. La Dre Macpherson n'a pas détecté de baisse du nombre de jeunes cyclistes après l'entrée en vigueur de la loi, en 1995. Par contre, en 2002, le taux de port du casque était retombé à ce qu'il était en 1995.

«Je ne pense pas qu'on ait prouvé que le casque obligatoire décourage des cyclistes à long terme, dit la Dre Macpherson. L'étude de Robinson aurait dû être menée pendant plus longtemps. Et de toute façon, je trouve qu'on exagère les bénéfices du vélo pour la santé. La plupart des gens ne pédalent pas très vite.» Un épidémiologiste montréalais qui suit aussi le dossier, Barry Pless, de l'Université McGill, souligne lui aussi que les cyclistes vont en général plutôt lentement à Montréal, et donc qu'ils ne font pas assez d'exercice pour que cela soit pris en compte dans l'analyse des coûts et des bénéfices d'une loi obligeant le port du casque. Le Dr Pless estime en outre que l'étude de M. de Jong est suspecte tant qu'elle n'a pas été publiée dans une revue renommée.

Suzanne Lareau, présidente de Vélo-Québec, a été estomaquée d'entendre les défenseurs du casque minimiser les bénéfices du vélo pour la santé. «De l'exercice, c'est de l'exercice, qu'on soit essoufflé ou non, dit Mme Lareau. Et nous sommes convaincus que beaucoup de cyclistes cesseraient de faire du vélo si on les obligeait à porter un casque. Nous préférons améliorer la sécurité des cyclistes plutôt que de véhiculer l'idée que le vélo est dangereux.»

Un rapide sondage réalisé vendredi après-midi au coin du boulevard de Maisonneuve et de la rue de Bleury montre que la baisse de popularité du vélo est un risque bien réel. Un des 10 cyclistes interrogés a déclaré que si une loi l'obligeait à porter un casque, il ferait probablement moins de vélo. Une autre a affirmé qu'elle accumulerait les contraventions en signe de protestation. De la cinquantaine de cyclistes qui ont croisé l'intersection en une demi-heure, le tiers était casqué.