Une peau saine abrite une variété de bactéries beaucoup plus importante que ne le pensaient les scientifiques, selon un premier grand recensement réalisé par des chercheurs américains, dont les résultats ont été publiés vendredi dernier dans la revue Science.

Et cette vaste population bactérienne n'est une mauvaise chose, assure la généticienne Julia Segre, des National Institutes of Health (NIH, Instituts nationaux de recherches sur la santé) qui a dirigé ces travaux. Certes ces microbes peuvent provoquer de mauvaises odeurs, «mais ils servent à garder notre peau hydratée, et en cas de blessure, ils empêchent les bactéries dangereuses de pénétrer dans la circulation sanguine», a-t-elle ajouté.Les corps humains sont des écosystèmes, un toit pour des milliards de bactéries, champignons et autres microbes qui cohabitent naturellement, notamment sur la peau et dans le tube digestif. Mais les scientifiques connaissent mal la répartition géographique de ces microbes, encore moins de ceux qui sont utiles et même indispensables au maintien de la santé.

Le «Human Microbiome Project» des Instituts nationaux de santé américains entend y remédier. Les chercheurs recrutent des volontaires en bonne santé de façon à comparer leur flore bactérienne à celle de patients atteints d'infections aiguës ou de pathologies plus mystérieuses, psoriasis ou syndrome du côlon irritable, notamment.

La recherche publiée dans «Science» fait partie de ce projet. Les scientifiques ont décodé les gènes de 112 000 bactéries dans des échantillons prélevés à partir de 20 sites cutanés chez 10 personnes. Ils ont recensé environ un millier de souches ou espèces bactériennes, a expliqué Julia Segre, soit plusieurs centaines de plus que ce qui avait été trouvé jusque-là sur la peau, grâce à l'utilisation de nouvelles technologies.

La flore bactérienne varie beaucoup selon la topographie, ont observé les chercheurs. Si une aisselle poilue et humide peut se comparer à une forêt tropicale en terme de diversité, une peau sèche dans l'intérieur de l'avant-bras est un vrai désert. Derrière l'oreille, l'étude a retrouvé 19 espèces bactériennes différentes en moyenne, contre pas moins de 44 sur l'avant-bras.

Combien d'entre elles sont des locataires permanents? Difficile de répondre. Certaines sont des touristes, ramassées au fil de la journée. Et qui sont les bonnes et les mauvaises? Cela dépend, répondent les scientifiques.

Une bactérie cutanée fréquente est le staphylocoque epidermidis, que l'on retrouve sur la totalité du corps. Cette bactérie, d'après Julia Segre, aide à se protéger de son méchant cousin, le staphylocoque aureus qu'un tiers de la population porte sur la peau ou dans le nez, même sans infection active. Mais le staphylocoque epidermidis lui-même peut devenir dangereux s'il passe la barrière cutanée et déclencher par exemple une infection au niveau d'un cathéter.

Les chercheurs ont aussi abordé la question de l'hygiène, dans une société obsédée par la lutte contre les bactéries: «l'agression des organismes de la peau normale est totale», explique Martin Blaser, du centre médical Langone de l'université de New York. «En voulant se débarrasser des mauvais, on se débarrasse des bons».

«Je suis la mère de deux enfants en bas âge. Je crois profondément à l'hygiène, au lavage des mains», reconnaît Julia Segre. Mais «nous devons comprendre que nous vivons en harmonie avec les bactéries, qu'ils font partie de nous comme super-organismes... et pas seulement les considérer comme des germes mauvais et malodorants».